Marc-Henri Wajnberg : ’Kinshasa Kids’

Interview à Marc-Henri Wajnberg à l’occasion de la sortie du film ’Kinshasa Kids / Le Diable n’existe pas’

À quel moment votre projet est devenu un docu-fiction ?
– Ce n’est pas un docu-fiction, c’est une fiction, car les personnages jouent un rôle. Il y a trois scènes qui sont « documentaire » : celle de l’exorcisme, l’accident, qui est arrivé pendant le tournage, et puis, les enfants qui se battent, mais tout le reste est mis en scène. Tout est basé sur des histoires vraies. J’avais passé du temps dans la cité à rencontrer des mamas, des papas, des enfants, à me faire raconter des histoires. Et c’est de toutes ces histoires qu’est née la structure du film. Comme je la voulais très kaléidoscopique, je ne voulais pas une histoire classique avec un début qui s’enchaîne sur une histoire, je voulais faire quelque chose comme une peinture de la ville. Petit à petit, avec un ampérage de couleurs, de séquences, d’émotions, de moments, ça m’a permis de raconter ce que j’avais envie de raconter.

Il y a plusieurs personnages, plusieurs histoires qui se croisent…
 Oui, c’est un film choral. Le personnage principal, c’est la musique, les enfants, la ville. Quand je suis parti à Kinshasa, je suis parti tourner un film sur la ville. Puis, j’étais tellement impressionné par tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai ressenti, la violence, la pauvreté, les agressions, les couleurs, l’humour, les rires, l’énergie, je me suis rendu compte qu’il était impossible de raconter tout ça en documentaire. C’est pour ça que j’ai pris cette forme-là. J’ai voulu garder l’aspect documentaire, le style, la structure même du documentaire qui permet de passer d’une chose à une autre, pour appréhender la ville. Cette forme transgenre m’a parue la plus adaptée.

La caméra est très présente au début du film, était-ce important de montrer qu’il s’agit de votre point de vue ?
– Oui, c’est mon point de vue de Kinshasa. Comment moi je le vis en tant que blanc, qui a les moyens, qui n’est pas dans cette pauvreté et qui décide de faire un film sur la ville. C’est ce que je dis aux policiers : « Je fais un film sur Kinshasa ». Et, c’est sûr que c’est de la manip’, de faire un montage, un film ou un documentaire, on montre ce qu’on veut montrer, donc voilà, je le positionne, « je suis là, je fais un film, c’est ma vision ». Après, on oublie la caméra, mais j’avais envie de montrer que c’est un point de vue décidé.

Le film nous fait relativiser nos petits soucis. Est-ce votre volonté de dire que d’autres réalités existent dans ce monde ?
– Oui, c’est le but. Il faut le montrer aux enfants pour leur faire voir qu’il existe autre chose que la X-Box ! C’est pour ça que je veux que ce film tourne dans les écoles, parce que c’est fondamental de montrer d’autres réalités, de montrer comment des gens sont obligés de se battre pour bouffer. Ces enfants sont considérés comme des déchets, comme des sorciers, comme des moins que rien. Psychologiquement, c’est dur, cette première scène est terrible, mais je ne voulais pas l’éluder, car c’est comme ça.

De la réalité que vous avez cueillie, vous en avez fait une fiction, qui elle-même a un impact sur leur réalité. C’était voulu ?
– C’était le but. On a trouvé ces enfants dans la rue, on a loué une maison, on a payé une association qui s’occupait d’eux, des professeurs de français, de musique, de la bouffe. Ils sont restés pendant 6 à 8 mois avec ces éducateurs, puis, juste après mon tournage, j’ai donné de l’argent pour que les enfants soient recueillis, dans diverses institutions, mais l’argent a été détourné. J’ai trouvé un accord avec un internat, mais le problème, c’est qu’il faut que les enfants acceptent d’y aller, car ils sont dans la rue depuis des années et pour eux c’est difficile. Mon projet était que chacun ait son truc. J’ai promis à Bebson qu’il aurait son disque, alors j’ai été l’enregistrer. Je m’étais promis que les enfants puissent être réinsérés, ce n’est pas évident, les parents n’en veulent pas de ces enfants. Il y en a déjà deux, Rachel et Emma, qui sont sauvés.

L’aspect sorcellerie, la magie, revient avec Bebson, qui est un peu un magicien. Comment l’avez-vous rencontré ?
– J’ai appris son existence en étant là-bas, j’ai été le voir et c’est un génie ! Tout le monde le connaît dans la cité. Quelque chose s’est passé entre lui et moi, il ne faisait confiance qu’à moi d’ailleurs et tout le monde est surpris, parce qu’il est magnifique dans le film. Maintenant, je veux qu’il vienne à Bruxelles, qu’il fasse une tournée. Lui, c’est le type le plus sain, le personnage le plus lunaire, le personnage le plus magnifique. Il vit pour la musique.

Qui a trouvé le nom du groupe que forment les enfants, « Le Diable n’existe pas » ?
– C’est les enfants qui l’ont trouvé et c’était devenu le titre du film. Mais comme c’est MK2 qui vend le film et qu’ils voulaient un truc un peu moins lourd, finalement, on est tombé sur « Kinshasa kids », qui est léger, clair, ils ont fait une affiche lumineuse et c’est très bien. C’est eux (les enfants) qui ont trouvé ce nom et j’étais super content, parce que je me suis dit qu’ils avaient enfin pigé, parce que, pour tout le monde, le diable existe. Il fallait que je leur montre les images de l’exorcisme, image par image, pour montrer la supercherie.

Ce n’était pas trop dur pour ces enfants de jouer leur propre rôle finalement ?
– A la fois ça a été dur et à la fois ça a été génial, parce que c’est un exorcisme, un vrai celui-là ! Quand José s’enfuit de chez sa belle-mère, au début, je sentais qu’il y avait un souci. Ce n’était pas normal, je me demandais s’il n’avait pas vécu ça. Ils ont parlé avec José et au fait c’est ce qu’il avait vécu, évidemment, parce que c’est toujours comme ça. Les couples se séparent et la belle-mère ne veut pas l’enfant. La mère ne peut pas garder l’enfant, elle n’a pas d’argent. Donc la belle-mère trouve le moindre prétexte pour l’envoyer à l’église pour dire que c’est un sorcier. Après, il (José) a joué et ça lui a fait beaucoup de bien.

Luz