Marion Hänsel

cinéaste

C’est le 21 mars 2007 que sortira le film de Marion Hänsel "Si le vent soulève les sables". La veille de la Journée Mondiale de l’Eau qui rappellera que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable. Ce film a déjà remporté plusieurs prix mais l’essentiel est qu’il touche le coeur de celui qui le regarde en même temps qu’il conscientise à un des problèmes les plus dramatiques de la planète. Par son écriture simple, son souci de sobriété et sa sincérité, il met l’accent sur la noblesse, la force et l’amour d’une famille face aux dangers encourus lors d’un déplacement en quête d’un puits, quelque part dans une partie désertique de l’Afrique.

CF : Aimez-vous marcher, Madame Hänsel ?
MH :J’adore marcher.

Votre réponse ne m’étonne pas. Dans votre film, on marche beaucoup et à un rythme lent et ample qui épouse la forme que vous avez souhaité donner à votre propos.
Plutôt que le mot rythme, j’emploierais celui de cadence qui me paraît plus approprié à la façon de marcher dans ces contrées désertiques d’Afrique.

Façon de marcher que vous avez pu observer ?
J’ai pris beaucoup de temps pour préparer ce film, pour faire les repérages, trouver les acteurs.
Je me suis beaucoup baladée à la recherche de mes décors, j’ai donc eu le temps d’observer la marche de ces nomades avec leurs chameaux, les chants qui accompagnent – les Africains disent qui cadencent – ces déplacements.
Mais il ne faut pas oublier qu’au départ de ce film, il y a le magnifique roman de Marc Durin-Valois (*) que j’ai choisi d’adapter. Je n’ai rien inventé, j’ai simplement transposé dans un autre langage - celui du cinéma - la poésie et le rythme d’un texte auquel j’ai été, dès sa lecture, sensible.

Pourquoi cet intérêt pour ce livre ?
Parce qu’il décrit des événements durs dans lesquels la vie et la mort sont étroitement liées, mais sans que l’émotion ne déborde la clarté du propos, qui est avant tout de témoigner de la souffrance d’une famille.

Le titre de ce roman « La chamelle » est devenu, pour votre film, « Si le vent soulève les sables ».
J’ai longtemps hésité à propos de ce titre. Je ne souhaitais pas qu’il suscite des équivoques dans
l’esprit du spectateur qui pourrait confondre avec la référence argotique à la femme acariâtre : c’est une « chamelle » et croire que mon film a une veine comique. D’autre part dans le livre l’accent est mis sur la relation entre la chamelle et le père de Shasha. Dans le film, j’ai plutôt choisi de privilégier la relation entre la petite fille et son papa.
C’est Marc Durin-Valois qui m’a suggéré d’utiliser les premiers mots de son roman « Si le vent soulève les sables ».

On a envie de connaître la consécutive introduite par l’adverbe « si »…
…Si mes souvenirs sont exacts, ça doit être « …c’est que l’eau manquera bientôt partout ».
En trois phrases la trame de l’intrigue est placée.

Et posée avec une sobriété qui se confirmera tout au long du livre et de votre film.
J’ai veillé à n’ajouter aucun pathos à cette histoire déjà suffisamment dramatique par elle-même.
Je suis très pudique par rapport à la notion d’émotion, j’essaie toujours de la maintenir à distance.
Si elle s’installe, ce sera lentement, grâce aux silences, aux regards, aux sons.

Si l’émotion affleure tout au long du film c’est justement parce que cette retenue lui confère une force particulière.
Il me semble que ce film est celui dans lequel je me suis permis d’aller un peu plus près des personnages en me disant « bon, si un spectateur pleure, ce n’est pas grave ».
Peut-être que j’ai bien fait de débrider ma retenue habituelle. Je ne sais pas.

Cette émotion qui est là, palpable sans être étalée, donne à votre propos une générosité qui saisit l’attention du spectateur, lequel a souvent tendance quand ces mêmes réalités lui sont présentées par la télévision à s’en détourner.
Je souhaitais que mon film se démarque des documentaires et reportages sur les problèmes de pénurie d’eau qui frappe certaines parties de la planète.
Je l’ai donc voulu très visuel en même temps que très proche d’une réalité.

Marc Durin-Valois, pour conserver à son récit une universalité, n’a pas précisé l’endroit des faits. C’est quelque part entre un désert qui avance et une guerre qui menace. Où avez-vous tourné ?
A Djibouti, ce petit pays d’Afrique où les paysages sont aussi beaux qu’inhospitaliers. On tournait loin des villages, au bord des frontières de la Somalie et de l’Ethiopie.

L’état de la planète vous inquiète ?
Oui et depuis longtemps déjà.
Dans mon film « Sur la Terre comme au ciel » (1991), un fœtus se demande s’il a envie de naître dans un monde dont la télévision diffuse des images d’enfants faméliques.
Dans « Nuages » (2001), il y avait aussi un questionnement sur les rapports entre les magnifiques nuages du ciel et ceux qui s’échappent des avions et des cheminées d’usine.
Maintenant, quand je vois l’état de la planète, j’ai peur. Tous ces problèmes écologiques m’angoissent et me donnent envie de faire des films qui servent à quelque chose.

Au point d’envisager de devenir une cinéaste militante ?
En tout cas engagée à défendre ce qui a un sens pour moi. De là à dire que mes prochains films seront tous militants, je n’en sais rien.
En tout cas, celui-ci l’est et j’en suis fière. Il est très demandé dans des festivals défendant l’environnement ou les droits de l’homme, créneaux auxquels mes autres films n’avaient pas accès. Il est projeté en avant-premières dans des soirées pour récolter des fonds permettant la construction de puits au Niger.

Il y aurait là un beau travail à faire avec les écoles ?
Effectivement. J’ai déjà eu une projection en France avec des enfants de 9/10 ans. Leurs réactions
ont été étonnantes d’intérêt, de maturité et d’émotions.

En symbiose avec la problématique de l’eau que votre film décrit, il y a aussi un regard sur une notion qui filigrane tous vos longs métrages précédents et leur donnent leur unité. Celle de la filiation.
Il est toujours difficile pour un artiste de parler de son travail, car beaucoup de choses sont inconscientes. Et c’est sans doute pour cela qu’on est artiste. Si je savais expliquer tout ce que je fais et pourquoi je le fais, probablement que je serais pas artiste.
Ceci dit, il y a des thèmes, des préoccupations qui sont récurrentes dans mon travail.
Et notamment les rapports qui existent entre les parents et leurs enfants. Que ce soit entre un père et sa fille dans « Dust », entre une mère et son fils dans « Noces barbares », entre moi er mon fils Jan dans « Nuages ».

Il existe un autre point commun qui font de vos films une œuvre, une de celles qui portent la « patte » de son créateur et qui font dire « tiens un film d’Hänsel »….
(rires)
Vous voulez sans doute parler de la notion de nature.

Effectivement
Dans chacun ou presque de mes films, la nature apparaît comme un protagoniste. Les êtres sont dans des lieux qui les façonnent. Leur trajectoire, leur physique, leur psychique sont influencés par l’endroit où ils vivent.
Peut-être que ces liens qui courent de film en film se voient mieux parce que j’ai réalisé maintenant 9 films et que des échos de l’un à l’autre peuvent se détecter plus aisément.

Plus aisément encore depuis que vos 8 films précédant « Si le vent… » viennent de sortir en coffret DVD.
Peut-être. En tout cas s’il y a une signature entre ces films, elle est spontanée. Je ne cherche pas à tout prix à l’imprimer sur ce que je fais.

Je voudrais vous poser une question plus personnelle. J’ai eu l’impression quand j’ai vu « Nuages » que quelque chose se clôturait avec l’envol de votre fils vers d’autres cieux que les vôtres. Et je me suis demandée : mais que va-t-elle pouvoir faire maintenant ?
(Rires).
Je me suis posée la même question. Qu’est-ce que je peux faire maintenant ?

Est-ce que le fait de vous retrouver libérée par rapport aux nécessités et contraintes d’une éducation vous a rendue disponible à des problèmes qui soient d’un ordre plus universel ?
Je n’en suis pas sûre. Parce que si vous prenez « Dust » en lecture sous-jacente au rapport conflictuel entre Trevor Howard et Jane Birkin, il y a une réflexion à propos de l’apartheid qui sévissait à l’époque en Afrique du Sud et qui empêchait d’avoir avec les Noirs d’autres rapports que ceux établis par le pouvoir politique.

Puisque vous évoquez « Dust », j’avais été frappée dans ce film par la façon dont votre chef opérateur filmait la lumière, la chaleur…Et j’ai constaté, à la lecture du générique de « Si le vent… » que vous aviez travaillé avec le même opérateur ?
Oui avec Walther Van den Ende, un champion en son domaine. Il mériterait un Oscar pour ce qu’il a fait dans ces deux films. Il ne dit jamais que quelque chose est impossible. Et pourtant il est extrêmement difficile d’éclairer les peaux noires. Si l’on les éclaire trop, on surexpose ce qui les entoure - en l’occurrence la blancheur des sables. Si on les éclaire trop peu, on ne les voit plus.

Nous parlions tantôt d’un fil rouge qui parcourt votre œuvre. Dans cet état d’esprit estimez-vous que la petite héroïne Shasha de « Si le vent.. . » pourrait être une sœur de Li, la jeune asiatique de « Between the devil and the deep blue sea » ?
Il existe en ces deux petites filles une sagesse, une force vitale, une innocence qui permettent aux hommes de tenir debout. Elles ont aussi une forme de grâce lumineuse face à la brutalité de la vie.

Travaillez-vous avec des enfants comme avec des adultes ?
Oui, je leur parle et je travaille avec eux comme avec des adultes. J’ai confiance en leurs capacités de se concentrer.

En parlant d’enfants, vous évoquez dans « Si le vent… » ces pré-adolescents enrôlés comme soldats.
En effet, mon film ne parle pas que du manque d’eau, il évoque aussi d’autres plaies de l’Afrique.
Notamment ses guerres fratricides et ses enrôlements d’enfants dans des hordes sauvages.

Il y a au, ces derniers temps, sur les écrans bruxellois des films africains qui ont eu un certain succès. Je pense notamment au film « Daratt ». L’avez-vous vu ?
Pas encore. C’est un film tchadien je crois dont on m’a dit le plus grand bien…

Et à juste titre. C’est l’histoire d’un jeune homme qui décide de ne pas entrer dans la spirale sans fin de la vengeance.
J’irai sûrement le voir. Mais « Bamako » de Abderrahmane Sissako est aussi un film très important

Oui, il a été montré lors du festival de films d’Afrique qui s’est tenu à « Flagey » en ce mois de novembre 2006.
Tant mieux, parce que la difficulté du cinéma africain est d’être vu et bien vu. Il bénéficie de peu de promotion et les gens n’ont pas suffisamment de curiosité à son égard. « Daratt » heureusement a gagné un prix à Cannes, ce qui a facilité sa distribution.

Avez-vous montré « Si le vent… » en Afrique et comment a-t-il été reçu ?
Il a été montré dans trois festivals et chaque fois il a été bien accueilli. Au Bénin, il a même recueilli le prix du meilleur film. Beaucoup d’Africains m’ont fait l’honneur de me dire que j’avais bien saisi ce qu’ils ou leurs parents avaient (ont) vécu.
Au festival de Cape Town, Isaka Sawadogo, le personnage principal de « Si le vent.. » a remporté le prix du meilleur acteur. J’en suis ravie.

En Europe aussi le film a été récompensé ?
Oui, à Paris il a reçu le prix de la meilleure fiction du festival du Film de l’Environnement de Paris.

Et ce n’est peut-être pas fini puisque vous êtes nominée dans la catégorie du meilleur film au festival international du film féminin de Dortmund qui aura lieu du 17 au 22 avril ?
(sourire)

J’ai vu sur Arte une émission consacrée à John Ford qui n’aimait pas qu’on dise de lui qu’il était « director ». Il préférait se voir comme un « movie maker » parce que cette appellation rendait mieux l’aspect artisanal de son métier.
Je le comprends. Je considère que mon métier c’est de l’artisanat. Qu’il faut faire avec passion et en prenant son temps. Il faut connaître les techniques, il faut les peaufiner. Chacun de mes plans est dessiné à l’avance par rapport à l’horizon, à l’ombre. On ne s’improvise pas cinéaste, on apprend à devenir cinéaste. Comme on devient ébéniste ou forgeron.

Vous êtes, et chacun des spectateurs qui vous suit le sait, une grande lectrice.
Oui j’aime lire et quand un livre me parle, je le vois en images et parfois même en sons. Je suis une lectrice-cinéaste. Sur mes neuf films, trois seulement sont des scénarios originaux. (**)
Avec le roman de Marc Durin-Valois mon travail a été simplifié parce que le récit était écrit en séquences bien découpées et visuellement évidentes.

Le cinéma pour vous est un langage ?
Et une écriture qui fait très bon ménage avec l’écriture livresque. Le romancier dispose d’une infinité de mots à sa disposition, le cinéaste d’une infinité d’images et de possibilités de cadrages
qui autorisent un parallèle entre les deux arts.
Parallèle qui permet, quand l’adaptation cinématographique est juste, de retrouver entre le spectateur et le film le même lien qu’entre le lecteur et le livre.

Vous aimez les mots. Vous aimez les dédicaces.
Pouvez-vous me rappeler celle de « Si le vent… »

Elle est adressée à ma sœur qui est morte un mois avant le tournage du film. Elle dit
« Ta joie et ta sérénité m’accompagnent ».

Merci Madame Hänsel. Que cette joie et sérénité dont vous nous faites cadeau accompagnent aussi nos lecteurs.

(*) livre paru aux éditions Lattès. La ré-impression sera accompagnée d’un bandeau-photo tiré du film. Il existe aussi en poche (n° 30 215)
(**) pour mémoire « Equilibre », « Sur la la Terre comme au ciel » et « Nuages »