CinéFemme fêtera, cette année, ses 10 ans d’existence. Martine Delooz mérite, tout autant que l’association qu’elle représente avec cette élégance naturelle et discrète qui est la sienne, les plus sincères remerciements pour la sélection de films qu’elle suggère de présenter en coup de coeur, un dimanche par mois au cinéma Arenberg. La pertinence de ses choix est guidée à la fois par une sensibilité, une subtilité et un instinct à repérer, parmi les dizaines d’oeuvres projetées en vision de presse, celles que le talent, l’originalité et l’intelligence distinguent des autres. Et comme si cette disponibilité à oeuvrer pour un cinéma de qualité ne suffisait pas, Martine Delooz cultive, avec une rare constance, un goût pour les relations humaines chaleureuses et confiantes. Si son portrait chinois devait être dressé en références cinématographiques, on pourrait dire qu’elle a le charme d’Audrey Hepburn, la vulnérabilité de Romy Schneider, l’efficacité responsable de Simone Signoret, la générosité de Gena Rowlands ... et l’espièglerie de Shirley MacLaine.
Cet entretien est la retranscription de l’interview demandée à Madame Delooz par Hala el Maoui, journaliste au "Progrès Egyptien" et parue dans le quotidien cairote ce 24 février 2007.
Rappelons que cette année, le Prix CinéFemme a été octroyé au film de Sven Taddicken "Emmas Glück". Choix de qualité puisqu’il a ratifié par le Jury du Festival qui lui a décerné son Grand Prix et le prix de la meilleure interprétation féminine à son actrice, Jördis Triebel.
HeM (Hama el Maoui) : Quand l’association CinéFemme a-t-elle été créée et dans quel but ?
MD (Martine Delloz) : Cette association a été créée en 1997 en Belgique par des femmes passionnées de 7ème art dans le but de promouvoir un cinéma de qualité. Notre activité est axée autour de coups de coeur mensuels qui sont des avant-premières de films non commerciaux. Nous décernons aussi un grand prix annuel au film qui est, à nos yeux et selon nos critères, le meilleur de tous les films qui sont sortis, durant cette même année en Belgique.
HeM : Votre prix est donc décerné au film primé ici à Mons ?
MD : Non les deux prix sont distincts. Celui de Mons est attribué en fonction des films présentés durant la compétition. Notre autre prix, appelé en fait notre Grand Prix Annuel, est attribué en fin d’année, lors d’un gala réputé pour sa convivialité, parmi les quelques 300 films que nous avons vus durant l’année. En 2006 nous avons décerné notre Grand Prix au film "Grabvica" de Jasmila Zbanic. Ce beau film traite de la question des victimes de la guerre, avec un rôle de femme particulièrement fort. La même année à Mons, notre prix a été attribué à " Your name is Justine" de Franco De Pena, dont le sujet brûlant, la traite des blanches, ne pouvait qu’interpeller un jury de femmes. Ce film qui se passait dans le monde des femmes travaillant autour des stades correspondait bien à l’ambiance de la Belgique de l’époque, qui sortait d’un tournoi de football qui avait capté l’attention de beaucoup de spectateurs.
HeM : Quand on parle de création féminine, que ce soit en peinture, littérature ou au cinéma, il y a des voix de femmes qui s’élèvent pour dire que la création ne peut être classée selon le critère du sexe. Croyez-vous qu’un homme n’est pas aussi capable qu’une femme de faire un bon cinéma sur les femmes, et ce avec autant de sensibilité ?
MD : Notre jury, c’est surtout un regard de femme sur le cinéma actuel. Il ne remet pas en cause la pertinence de la sensibilité masculine et personnellement je suis absolument convaincue que les hommes peuvent avoir tout autant de sensibilité que les femmes. Ils peuvent même exprimer à travers celle-ci une part de leur féminité, tout comme les femmes peuvent exprimer, grâce à la leur, une part de leur masculinité. Il n’en demeure pas moins qu’être femme nous rend plus attentives à certains problèmes éthiques. On est à la base de l’éducation des enfants et dès lors il nous apparaît évident de ne pas prôner un cinéma de violence. A ce sujet, je fais partie de la Commission de Contrôle des films (*) et je constate que mettre une limite à la violence qui, sans cela, n’engendre que la violence paraît plus une nécessité propre aux femmes qu’aux hommes.
HeM : Nous sommes dans un Festival de Films d’Amour. Que représente pour vous l’amour et existe-t-il vraiment ?
MD : On m’a posé la même question, il y a quelques années et j’ai eu la même difficulté à y répondre parce que le terme amour est très vaste et recouvre beaucoup de sentiments connexes : la tendresse, l’affection... Mais parfois, dans le cadre de ce Festival d’Amour, je suis un peu étonnée par la sélection faite des films projetés tant la notion de l’amour y est proche de celle de la haine ou entraîne une expression et des effets violents.
Pour en revenir plus précisément à votre question, oui je crois que l’amour existe et qu’il consiste en des moments privilégiés de la vie où l’on se sent heureux. Ce qui entraîne encore plus d’amour ...
HeM : Quels sont le ou les films qui vous ont le plus marquée durant cette édition du festival ?
MD : "Emmas Glück" (**) parce qu’il sort de l’ordinaire par son thème douloureux qui aborde de front la maladie et la mort. Il parle aussi d’une rencontre entre deux mondes différents, celui d’un homme condamné par un cancer qui rencontre une femme qui n’a jamais aimé que les animaux.
M’a aussi paru intéressant "2h:37", un film australien de Murali K. Thalluri qui pourrait plaire aux jeunes et auquel j’adresserais, néamoins, le reproche de parfois trop ressembler à "Elephant" de Gus Van Sant.
HeM : Qu’apporte le Festival d’Amour de Mons à la ville de Mons ?
MD : Le festival donne aux Montois(es) la chance de voir des films venant de tous les coins du monde et qui n’auront pas souvent la chance d’être distribués en Belgique. Ils ont ainsi l’occasion de voir qu’il existe, bien loin des produits formatés des grosses productions américaines, un cinéma dont l’exigence rime avec la qualité.
(*) cette Commission est chargée d’émettre des avis sur l’admissibilité ou pas des moins de 16 ans aux films.
(**) au moment de l’entretien, le Prix CinéFemme (et à fortiori celui du Grand Prix du Festival) n’avait pas encoré été attribué.