De passage en Belgique à l’occasion du ’35th Brussels International Fantasy, Fantastic, Thriller and Science Fiction Film Festival (BIFFF)’, où il était l’invité d’honneur, le réalisateur coréen Park Chan-wook a accepté de répondre à nos questions. Nous avons partagé l’entretien avec notre confrère Wim Castermans de Schokkend Nieuws.
Nous remercions cordialement Monsieur Park Chan-wook pour son temps et sa parole, Monsieur Haetal Chung pour son travail de traduction, ainsi que les équipes du BIFFF et de Bozar pour leur accueil. Merci également à Wim Castermans pour sa collaboration.
(Photo prise par Katia Peignois à la fin de l’interview)
Katia Peignois (CinéFemme) :Dans The Handmaiden (2016) notamment, l’on retrouve votre goût pour les personnages féminins forts. Pouvez-vous nous parler de votre lien avec ces personnages ?
Park Chan-wook : Dès le début de ma carrière, avec mon long métrage Joint Security Area (2000), j’ai voulu souligner la force des personnages féminins. Dans ce film, il y avait un détective militaire qui initialement était un homme, mais j’ai l’ai transformé en un personnage féminin à l’écran. Donc, déjà dès ce moment-là, je voulais souligner le caractère très puissant des personnages féminins. Finalement, The Handmaiden (2016), c’était l’apogée de ma volonté de mettre en valeur la puissance des femmes.
Katia Peignois (CinéFemme) : Comment envisagez-vous votre travail avec les actrices et les acteurs ?
Park Chan-wook : Je préfère travailler avec des acteurs et des actrices célèbres, et ce, pour deux raisons.
D’abord, pour obtenir un investissement approprié pour faire le film. C’est important de pouvoir bénéficier de ce que l’on appelle le « star power » pour monter un projet. Les films que je fais constituent toujours une sorte d’aventure, parce que ce ne sont pas des films tout à fait commerciaux et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai besoin d’eux pour que mes projets aboutissent.
Ensuite, tous les acteurs et toutes les actrices ont une image, quelque chose qui ressemble à un cliché les concernant, comme une sorte de « regard figé » que le public pose sur eux. J’aime bien manipuler et bouleverser cette image. Ainsi, je peux emmener les acteurs ailleurs et faire quelque chose de complètement différent. Par exemple, c’était assez choquant et scandaleux de faire jouer le rôle principal de Lady Vengeance (2005) à Lee Young-ae car, même si vous ne la connaissez pas bien ici, elle est vraiment célèbre en Corée du Sud pour ses rôles de femmes gentilles et correctes. C’était donc osé de la faire incarner une femme cruelle et manipulatrice alors qu’elle a une image très sage. L’appréciation que vous aurez de Lady Vengeance (2005) peut varier en fonction de si vous avez conscience de cela ou non.
Wim Castermans (Schokkend Nieuws) : Pour vos films coréens, vous avez toujours travaillé avec la même équipe technique. Lorsque vous avez fait Stoker (2012), aux USA, toute l’équipe était différente, à l’exception de votre directeur de la photographie. Comment s’est déroulée votre collaboration avec cette toute nouvelle équipe ?
Park Chan-wook : C’était une chouette expérience ! J’ai procédé à plusieurs entretiens pour sélectionner des gens compétents et très qualifiés. J’étais vraiment satisfait de leur manière de travailler. C’était particulièrement agréable de communiquer avec eux. Les gens ont, dans le milieu du cinéma, un langage commun. J’ai donc pu partager avec eux. Grâce à cette expérience, j’ai une autre famille de cinéma en Amérique.
Wim Castermans (Schokkend Nieuws) : Chung Chung-hoon, votre directeur de la photographie attitré, travaille à présent à Hollywood. En ce moment, il est sur le remake d’It (2017), l’adaptation cinématographique du roman de Stephen King. Est-ce que cela va changer votre association professionnelle ?
Park Chan-wook : Je pense qu’il souhaite travailler davantage aux États-Unis ; c’est clairement pour cela qu’il a déménagé là-bas. Et, en effet, pour l’instant, il va s’efforcer de privilégier les projets en Amérique. Mais, notre collaboration continuera toujours. C’est une question de timing. Car, dorénavant, il aura son propre calendrier de travail et j’aurai le mien. Je ne veux pas qu’il ait à m’attendre. Nous aurons peut-être un bon timing et alors nous pourrons retravailler ensemble. Sinon, je devrai collaborer avec quelqu’un d’autre. Mais quoi qu’il arrive, notre relation perdurera.
Wim Castermans (Schokkend Nieuws) : Voulez-vous toujours réaliser des films aux USA ? Un projet de western, scénarisé par Craig S. Zahler qui a écrit et réalisé Bone Tomahawk (2015), avait été évoqué. Est-ce toujours d’actualité ?
Park Chan-wook : J’adorerais réaliser un western. Actuellement, je développe plusieurs projets en même temps, mais aucun n’est stable financièrement. Je travaille sur thriller qui s’intitulera X et qui sera une production américaine. J’ai terminé le script, mais je suis à la recherche d’investisseurs supplémentaires afin que le film puisse répondre à mes attentes et à mes ambitions. Je ne peux donc pas en dire plus pour l’instant. Il est encore trop tôt pour en parler.
Wim Castermans (Schokkend Nieuws) : Dans Stoker, il y a une forte influence d’Alfred Hitchcock et un hommage à Shadow of a Doubt (1943)…
Park Chan-wook : En fait, je pense que Shadow of a Doubt (1943) a surtout été une source d’inspiration pour le scénariste de Stoker (2012). Moi, je me suis contenté de le réaliser et j’ai essayé de réduire la part d’influence et de références à Hitchcock dans le film.
Wim Castermans (Schokkend Nieuws) : Avez-vous un ou des film(s) noir(s) préféré(s) ?
J’aime et j’ai une préférence pour les films noirs français, surtout ceux de Jean-Pierre Melville.
Katia Peignois (CinéFemme) : Chaque titre des thèmes musicaux de votre film Old Boy (2003) porte le nom d’un long-métrage – on y retrouve notamment Out of the Past (1947) de Jacques Tourneur, The Searchers (1956) de John Ford ou Cries and Whispers (1972) d’Ingmar Bergman. Comment est née cette idée ?
Park Chan-wook : En effet, vous avez raison. En réalité, il n’y avait pas de sens spécifique. Il se trouve que le compositeur de la bande originale du film est un très bon ami à moi, avec qui j’ai beaucoup fréquenté les cinémas quand j’étais plus jeune. À l’époque, nous étions fous et vraiment très cinéphiles. On a donc réfléchi aux titres qui étaient appropriés pour les séquences du film Old Boy (2003) et on a donné ces noms aux morceaux, car c’était un boulot vraiment fun sur lequel on pouvait s’amuser ensemble.
Katia Peignois (CinéFemme) : Vos deux premiers longs-métrages – Moon Is The Sun’s Dream (1992) et Saminjo (1997) – restent invisibles à ce jour. Est-ce qu’ils existent toujours et est-il possible de les voir ?
Park Chan-wook : Oui, en effet, ils sont introuvables, car je fais de mon mieux pour les bloquer et vous empêcher de les voir (rires). Ce sont les deux seuls films que je n’ai vraiment pas envie de montrer car je n’en suis pas très fier.