« Je n’ai pas oublié », répétait-elle à l’envie dans son dernier film, Il était un petit navire, essai filmo-biographique, sincère et poétique, qui faisait oeuvre des éclats de sa mémoire. « Je n’ai pas oublié, je rêve, je pense, je me souviens. » Immobilisée par une longue convalescence, Marion Hänsel remontait les méandres du fleuve de sa mémoire, excursion aussi introspective que rétrospective, qui s’impose aujourd’hui comme un testament cinématographique terriblement émouvant.
Avec près de 15 longs métrages dans sa filmographie, entre adaptations littéraires et créations originales, elle s’est imposée dans le paysage cinématographique belge et mondial avec une oeuvre puissante, exigeante et éminemment personnelle. Au fil de sa carrière, son cinéma a croisé des Prix Nobel, transcendé des Goncourt, été sélectionné à Cannes et Venise (où elle a remporté le Lion d’Argent). Du Pacifique à l’Afrique du Sud, de Djibouti à Hong Kong, sa filmographie offre un voyage à travers le temps et l’espace, aussi lettré que spectaculaire.
Marion Hänsel, de nationalité belge, est née à Marseille en 1949. Rapidement, elle rentre en Belgique, où elle grandit à Anvers. Elle se passionne très tôt pour le jeu, se rêve comédienne, et s’inscrit à l’IAD. Mais elle ne s’y retrouve pas, et se tourne vers le Théâtre des Galeries, puis le Théâtre des Quatre Sous. Ses voyages l’amènent à côtoyer les plus grands, elle suit les cours de Lee Straberg à l’Actor’s Studio à New York, entre à l’Ecole du Cirque d’Annie Fratellini à Paris.
En 1977, elle écrit et réalise son premier court métrage, Equilibres, et crée dans le même temps sa société de production, Man’s Films, qu’elle animera jusqu’à la fin. Son premier long métrage, Le Lit, une première adaptation (elle en fera une brillante spécialité) de l’écrivaine belge Dominique Rolin, lui vaudra le Prix Cavens du Meilleur film belge.
Elle enchaine avec une autre adaptation, s’exilant au Sud de l’hémisphère Sud pour tourner Dust, d’après le romancier sud-africain J.M. Coetzee, Prix Nobel de littérature. Le film obtient le Lion d’Argent à Venise. Cette histoire de haine plus que d’amour, traversée par une incroyable tension charnelle, est servie par une approche très sensorielle du récit. On ressent avec les personnages la chaleur, la poussière, la lumière éblouissante, avec les ombres des tonnelles, et le vert des boiseries comme seules couleurs ou presque, dans un paysage dont le ciel et l’espoir sont quasiment absents. Jane Birkin y tient un rôle à contre-emploi où son corps en lutte constante contre ses pulsions répond avec douleur au récit de sa folie rampante.
En 1987, elle réalise Les Noces Barbares, une adaptation de l’ouvrage de Yann Queffelec, prix Goncourt 1985. Puis viennent Il Maestro en 1989, Sur la terre comme au ciel en 1991, Between the Devil and the Deep Blue Sea en 1995 (sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes), The Quarry en 1998, Grand prix des Amériques à Montréal, ou encore Nuages : lettres à mon fils en 2001.
En 2006, elle réalise à Djibouti Si le vent soulève les sables. Le film a participé à plus de 50 festivals et remporté une vingtaine de prix. En 2010, c’est Noir Océan adapté de deux nouvelles d’Hubert Mingarelli, qui se passe sur un navire de la Marine française dans le Pacifique. Vient ensuite La Tendresse (2013), un road-movie, scénario original cette fois, porté par le duo Marilyne Canto/Olivier Gourmet, lumineux. En 2016, elle retrouve Olivier Gourmet dans En amont du fleuve, à nouveau sur un scénario original, où le comédien belge retrouve Sergi Lopez lors d’une odyssée fraternelle, tendue, aux confins de la Croatie.
Également productrice, elle a notamment accompagné No Man’s Land de Danis Tanovic, Oscar du Meilleur film en langue étrangère en 2002, 25 degrés en hiver de Stéphane Vuillet en 2005, Diego Star de Frédéric Pelletier en 2013, Zagros de Sahim Omar Kalifa en 2018, ou encore Les Chemins de la mémoire de Jose Luis Penafuerte, Magritte du Meilleur documentaire en 2011. Son dernier film en tant que productrice, The Whaler Boy, du réalisateur russe Philipp Yurev, était en Compétition au Festival de Venise aux Giornate degli autori.
En tant que productrice et comme réalisatrice, elle a par ailleurs participé très activement à la vie du secteur du cinéma belge francophone. Comme membre fondatrice et active de l’UPFF (l’Union des Producteurs Francophones de Films) notamment, mais aussi en présidant la Commission de Sélection des Films à deux reprises, en 1996 puis en 2002.
C’était donc une évidence pour le CA de l’Académie André Delvaux d’honorer sa mémoire lors cette édition 2022, et de lui attribuer, à titre posthume, le 11e Magritte d’Honneur, après ceux remis à Monica Belluci, Raoul Servais, Sandrine Bonnaire, André Dussollier, Vincent Lindon, Pierre Richard, Emir Kusturica, Costa-Gavras, Nathalie Baye et André Delvaux.
Il sera remis à son fils, Jan Ackermans, conjointement par Charly Herscovici, Président de la Fondation Magritte, et la chanteuse et comédienne française Jane Birkin, héroïne de Dust, Lion d’Argent à Venise.