Impressions de Cannes 2025 (13-24 mai)

Décidemment, les Festivals à Cannes se suivent et ne se ressemblent pas et pourtant …

Les immuables de Cannes

Il y a eu, cette année encore, les très attendues montées des marches avec des « gens du cinéma » mais avec tant d’autres qui n’avaient comme but que celui de se faire remarquer par leur tenue sur les sacrées marches rouges. Savez-vous que Tik’Tok cette année a offert un accès privilégié au Festival à sa communauté de plus d’un milliard d’utilisateurs ? Vues les excentricités passées, un nouveau code vestimentaire a été demandé : pas de traine, pas de corps dénudés. Peine perdue ; il y a eu des traines en tous genres, des transparences en tous genres aussi sur les soutien-gorges, culottes et autres dessous ; bref rien n’a changé.

Il y a eu, presque comme d’habitude, la pluie, les bourrasques de vent qui ont arraché un palmier sur la croisette, quelque rayons de soleil mais qu’importe quand on a vu, comme moi, 35 films en 8 jours dans les salles dites obscures avec toujours le même frémissement de plaisir quand s’affichent sur l’écran les fameuses marches.

Cannes 2025 et les femmes : des pas en avant mais encore des progrès à faire

Un peu d’histoire  : rappelons-nous qu’en 1946 le Festival était composé uniquement d’hommes et il a fallu attendre près de 20 ans pour qu’une femme, Olivia de Havilland soit présidente du jury.
Sur 78 éditions, seules …. 13 femmes … ont présidé le jury du Festival de Cannes. C’est la seconde fois seulement dans l’histoire du festival que deux présidentes se succèdent : Greta Gerwig en 2024 et Juliette Binoche en 2025.
Depuis 1947, 1790 films ont été sélectionnés pour la Palme d’Or et seulement 84 d’entre eux étaient les œuvres d’une réalisatrice…..
Cette année, Juliette Binoche est la quatorzième femme à le présider, entourée de quatre femmes : Halle Berry, Payal Kapadia, Alba Rohrwacher et Leïla Slimani et de quatre hommes : Dieudo Hamadi, Hong Sangsoo, Carlos Reygadas et Jeremy Strong.

Nouveauté : c’est la troisième fois qu’une femme signe le film d’ouverture après Diane Kurys et Maïwenn, et la première fois qu’un premier film ouvre le festival avec le film « Partir un jour » d’Amélie Bonnin.

Sur les 22 films en lice pour la Palme d’or, sept sont réalisés par des femmes. En compétition officielle, on retrouve Julia Ducournau (Alpha), Lynne Ramsay (Die, My Love), Kelly Reichardt (The Mastermind), Carla Simón (Romería), Hafsia Herzi (La Petite Dernière), Chie Hayakawa (Renoir) et Mascha Schilinski (Sound of Falling). Soit un tiers des cinéastes sélectionnés : mieux qu’en 2024 (22%) et un peu moins bien qu’en 2023 (33%).

Pour les autres jurys du Festival : à saluer pour 2025, la parité des films sélectionnés est atteinte pour la première fois à la Semaine de la critique, section qui regroupe des premiers et des deuxièmes films.
A saluer aussi, 3 autres jurys de la sélection officielle sont présidés par des femmes. "Une coïncidence", selon le délégué général du festival ! !
La cinéaste italienne Alice Rohrwacher dirige le jury de la Caméra d’or, chargé de récompenser un premier film, Molly Manning Walker, cinéaste britannique préside le jury Un Certain Regard, l’Allemande Maren Ade pour les courts-métrages et pour L’Œil d’or (documentaires) , le jury était présidé par Julie Gayet.

Et à présent parlons… des films et des cinéastes

Une superbe sélection toutes catégories confondues avec des grands films de résistance, de dénonciation de situations intolérables, de reconstruction, des films étonnants, des films émouvants :

Bravo au jury d’avoir donné un signal politique très fort en attribuant la Palme d’or au film « Un simple accident » de Jafar Panahi (il faut rappeler qu’il y a à peine quelques décennies, en 1939, le Festival a été créé pour s’opposer à la Biennale de cinéma vénitienne et à son organisation prise en main par Mussolini et Hitler). Film tourné dans la clandestinité par ce cinéaste courageux, assigné pendant quinze ans en Iran, où il a été écroué deux fois avec interdiction de tourner. Quelle émotion de le voir à Cannes.

Toutes sections confondues, certaines constantes semblent émerger dans les thèmes traités par les cinéaste :

— la résurgence de traumatismes de l’enfance, la famille fracassée, l’enfance accidentée, la mémoire : « Brand new landscape » de Yuiga Danzuka (Quinzaine) qui met en parallèle le drame d’une famille et les mutations de la ville de Tokyo,, « Que ma volonté soit faite » de Julia Kowalski (Quinzaine) qui met en scène les pouvoirs monstrueux de la jeune Nawojka hérités de sa mère morte, le merveilleux « Sentimental value » de Joachim Trier (Sélection officielle, compétition) où un père essaye de renouer avec ses deux filles,
 » Renoir » de Chie Hayakawa (Sélection officielle compétition) où une fillette élevée dans une famille sans contact, sans émotion cherche désespérément des interactions humaines, «  Ma frère « de Lise Akoka et Romane Gueretqui (Cannes Première) qui nous plonge avec dynamisme et tendresse dans une colonie de vacances d’enfants ayant grandi dans les tours à Paris (hélas dialogues presque inaudibles), le très beau film « Romeira » de Carla Simon (Sélection officielle compétition) où Marina, partie à la recherche de sa famille biologique, va découvrir les secrets, les non-dits, les hontes.
— La lutte de femmes pour être indépendantes et se libérer des traditions religieuses ou patriarcales : « Sorry Baby » d’Eva Victor qui analyse très finement le bouleversement psychologique d’Agnes après son agression et la force qui lui permet d’entrevoir la reconstruction, « Kika » d’Alexe Poukine ( Semaine de la Critique) qui , dans la plus grande détresse, cherche à hiérarchiser ses priorités et à prendre en mains sa vie.
J’ai été bouleversée par le film « La petite dernière » de Hafsia Herzi (Sélection officielle compétition) qui avec tant de pudeur analyse les conflits intérieurs de Fatima, cadette d’une famille musulmane d’immigrés algériens à Paris qui découvre son homosexualité. Merveilleuse interprétation de Nadia Melliti qui a reçu le prix d’interprétation féminine.
— les mécanismes de la déshumanisation sous les dictatures, dans les pays en guerre : le très glaçant« Two prosecutors » de Sergei Loznitsa (Sélection officielle compétition) qui décrit d’une façon implacable les mécanisme de la corruption en Union Soviétique dans les années 1937, «  Once’s upon a time in Gaza » de Arab et Tarzan Nasser (Un certain regard) sorte de comédie noire qui décrit un quotidien sans lendemain : « Je t’ai suivi dans un monde qui n’est pas le mien dit Yaya , jeune étudiant à Ossama, dealer au grand cœur ; « tu crois que c’est le mien ? « répond Ossama ; « Militantropos » , film d’un collectif ukrainien (La quinzaine des Cinéastes) pose la question de la signification pour un peuple de vivre en état d’agression permanente.
— présente aussi cette année l’Afrique avec «  Aisha can’t fly away » de Lorad Mostafa (Un certain regard) qui décrit la vie misérable des émigrés africains dans un quartier du Caire et notamment d’Aisha soumise à la loi des hommes. Aussi le film « My father’s Shadow »de Akinola Davies Jr ( Un Certain regard), très beau récit politique, intime et spirituel d’une journée d’un père et ses deux fils à Lagos sur fond de crise électorale, « Indomptables » de Thoma Ngijoll (Quinzaine des Cinéastes) sorte de thriller politique à Yaoundé qui veut mêler l’intime au populaire.
— Et enfin les splendides fresques politico- sociales qui m’ont « emportée » telles « L’agent secret » de Kleber Mendonça Filho (Sélection officielle compétition), sorte de thriller politique sur fond de dictature brésilienne des années 70 et « Les aigles de la République » de Tarik Saleh (souvenez-vous de La conspiration du Caire) en apparence comédie mais subtile satire politique du régime du Président al-Sissi quand l’art (le cinéma) est utilisé à des fins de propagande.

Et pour terminer, mes coups de cœur spéciaux

Un ovni, un film irakien, arrivé par miracle à Cannes comme le soulignait le Délégué Général de la Quinzaine : « The Président’s cake » de Hasan Hadi. C’est la première fois qu’un prix est remis à un irakien au Festival de Cannes. Sorte de conte cruel et poétique dans l’Irak de Saddam Hussein qui a remporté la Caméra d’or : « Mon but était de montrer le pays tel qu’il était, à hauteur d’enfant, un pays détruit par Saddam Hussein » dit le cinéaste.
« La Nouvelle Vague » de Richar Linklater (Sélection officielle compétition) : l’histoire, dans les années 60, de Godard tournant « A bout de souffle » dans le style de Godard ! un vrai régal qui fait revivre Godard, Truffaut, Rohmer, Agnes Varda, Juliette Gréco , Chabrol, Rossellini …

Et, pour finir, savez vous que la Palm Dog a été attribuée cette année au chien Panda, vedette du film « L’amour qu’il nous reste » de Hlynur Palmason
A l’année prochaine !
France Soubeyran