Mai 23, impressions de Cannes

6 jours à Cannes, le temps de voir 25 films et d’avoir quelques impressions.

Le premier renouveau , timide mais réel c’est la présence affirmée des femmes : d’abord une femme Présidente du Festival pour la première fois ! Iris Knobloch, juriste allemande et ancienne dirigeante de Warner eu Europe : « Je suis consciente de ce que représente ma nomination et je trouve symboliquement important que la langue française permette de féminiser la fonction ».

Ensuite, ce vent nouveau féminin affirmé par« La quinzaine des cinéastes » qui a neutralisé son titre en effaçant le mot « réalisateur » et affirmé aussi par une femme sur son affiche, qui , telle une cariatide, semble soutenir l’écran de cinéma. Bravo monsieur le nouveau Délégué Général, Julien Rejl !
Et encore 7 réalisatrices (sur 21) en sélection officielle en compétition : Ramata Toulaye Sy avec son premier film « Banel et Adama » (Sénégal), Kaouther Ben Hania avec son film « Les filles d’Olfa » (Tunisie), Justine Triet avec « Anatomie d’une chute » (France) Palme d’or, Catherine Breillat avec « L’été dernier » (France), Jessica Haussner avec « Club Zero » (Autriche France Allemagne RU), Catherine Corsini avec « Le retour » (France), et Alice Rohrwacher avec « La chimére « (Italie) .
Intéressant aussi de constater la même évolution « de présence féminine » dans « La semaine de la critique » qui met au centre de cette édition les rapports familiaux , avec une Présidente Audrey Divan (L’évènement) et six réalisatrices (oh pardon, cinéastes) sur 11 films.

Toutes sections confondues, une autre constante semble se dessiner : de nombreux films mettent en scène la femme et sa lutte pour se libérer des codes religieux et sociétaux  : « Blackbird Blackbird Blackberries » de Elene Naveriani (Géorgie) avec le portrait d’une femme de 50 ans qui s’affranchit de ses chaines, « Mambar Pierette » de Rosine Mbakam (Cameroun Belgique) avec le portrait d’une femme qui lutte pour simplement survivre, « Levante » de Lillah Halla (Bresil Uruguay France) avec le portrait de Sofia qui lutte pour pouvoir disposer de son corps et se faire avorter et « Banel et Adama » sur l’émancipation d’une femme peule.
Et pourtant, attirante et dérangeante, en même temps cette traditionnelle montée des 24 marches qui « glamourise et merchandise » la femme. Rien ne lui est interdit sur les marches pour se faire remarquer et si elle ne correspond pas aux codes de beauté de la minceur , elle sera lynchée sur les réseaux sociaux comme cela a été le cas pour cette édition. L’homme, en revanche, sur les marches, est passe partout… dans son smoking.

Autre renouveau de cette édition 2023 : la présence de l’Afrique habituellement sous-représentée à Cannes avec cette année deux films en compétition, des films dans les sélections parallèles (Sénégal, Tunisie, Maroc, Algérie, Cameroun, Soudan…) et deux membres du jury issus du continent. Rappelons que l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, Palme d’or en 1975 avec "Chronique des années de braise » est le seul cinéaste africain à l’avoir reçue.

Mes coups de cœur :
• « Les filles d’Olfa » L’œil d’or - Année du documentaire (ex aequo) 2023, premier film tunisien en compétition à Cannes depuis cinquante ans ! A l’origine documentaire, ce film raconte l’histoire d’une mère et de ses quatre filles dont deux sont parties rejoindre Daech. Et pour donner vie à cette histoire, la cinéaste a choisi de mêler les vrais personnages à des actrices jouant leur rôle : « Les personnages réels contaient leur passé devant la caméra. Elles le mettaient en scène elles aussi. Il leur arrivait de diriger les autres acteurs. Elles prenaient le pouvoir sur leur histoire » précise Kaouther Ben Hania. Envoutant !
« La mère de tous les mensonges » de Asmae El Moudir. Prix de la mise en scène  : Au fil du documentaire, Asmae explore la mémoire de son quartier et de son pays, le Maroc, en cherchant à comprendre pourquoi ces mensonges ont été racontés et ce qu’ils révèlent sur sa famille et sa culture. Forme très originale, avec la mise en scène de figurines représentant sa famille et son quartier que la réalisatrice a mis dix ans à mettre au point.
« Goodbye Julia » de Mohamed Kordofani. Prix de la liberté  : À la veille de la division du Soudan, Mona, ex-chanteuse Nord soudanaise, cherche à se racheter d’avoir accidentellement causé la mort d’un homme sud soudanais, en engageant sa femme, Julia, comme domestique. « Goodbye Julia est un voyage difficile à travers la mémoire collective des peuples soudanais et sud-soudanais, qui traite de la vie quotidienne normale de deux femmes liées par des situations sociales et politiques inhabituelles qui les ont beaucoup affectées… Le film examine la dynamique de l’interaction compliquée entre les nordistes et les sudistes, ainsi que le conflit entre le progressisme et le conservatisme, dans ses modèles, et aborde le processus de changement par lequel nous devons passer pour nous réconcilier et guérir en tant que personnes et en tant que société » dit le réalisateur.

Voilà quelques impressions de Cannes 2023. A l’année prochaine.

France Soubeyran