Autour d’un livre
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A MIGHTY HEART

Michael Winterbottom (USA 2007 - distributeur : UIP)

Angelina Jolie, Will Patton, Archie Panjari

108 min.
19 septembre 2007
A MIGHTY HEART

Angelina Jolie ou les paradoxes de la star qui veut tout combiner. Les statuts d’épouse, de mère, de vedette et de dame d’œuvres. Pourquoi se refuserait-elle cette boulimie puisque celle-ci ravit le chaland épaté de voir la même personne incarner avec fougue étudiée les élans humanitaires et le glamour des people ?

Son choix d’être l’upgrade d’une Soeur Theresa revue et corrigée par Jimmy Choo et Prada est impeccablement assumé. Rien ne pourrait l’améliorer.

Par contre, d’un point cinématographique, ses prestations sont moins concluantes. Après avoir été une tueuse dans « Lara Croft » et « Mr et Mrs Smith » - sans doute pour décompenser après son rôle de missi dominici au sein d’organisations caritatives - elle s’est accordée une pause intellectuelle en interprétant, dans « A mighty heart », Marianne Pearl, l’épouse du journaliste enlevé et décapité par des jyhadistes pakistanais à Karachi en 2002.

Inspiré du roman autobiographique de Madame Pearl « A mighty heart » plonge, caméra à l’épaule comme dans un reportage live et avec un sens rythmé de l’image, dans le capharnaüm de la capitale pakistanaise dont les pinces casse-gueule vont se refermer brutalement sur Daniel Pearl venu y terminer, sans se douter que ce serait sa dernière, une enquête sur un réseau islamiste pour le Wall Street Journal.

La mise en scène des rues trépidantes, des ballets diplomatiques stériles, des ambiguïtés des services secrets rappelle que Winterbottom est un excellent documentaliste (« The road to Guantanamo ») qui sait éveiller et maintenir la curiosité du spectateur en créant des asymétries d’intérêt. Ainsi les mouvements et agitations du monde extérieur viendront buter, parfois avec une rudesse voulue, sur les angoisses et chagrins d’une jeune femme solitaire (même si elle est entourée) enceinte et amoureuse. Qui comprendra peu à peu et avec courage que la barbarie a un visage et qu’il est humain. (*)

Adaptation fidèle du récit de Marianne Pearl, écrit dans l’intention de laisser à un fils né posthume une trace de ce qui est arrivé à son père, « A mighty heart » est aussi un regard posé, sans œillère de bois, sur une des causes de la brutalité du monde : si Pearl a été assassiné c’est parce qu’en tant que juif, il symbolisait pour ses ravisseurs la force du Mal tel qu’elle est perçue par les islamistes. Ce mal qui a pour nom l’axe americano-sioniste.

« A mighty heart » n’est pas un film qui cède aux facilités de la dramatisation narrative, du didactisme historique ou de la complaisance hollywoodienne face au pathétique.
Il est raconté d’un cœur puissant et avec l’émotivité retenue d’ une femme meurtrie mais déterminée à connaître la vérité. Ayant sans doute été assez aimée et ayant assez aimé pour supporter de ne pas ciller à la vision de la cassette relatant les derniers instants de son époux. Epreuve qu’elle sait être incontournable à un début de travail de deuil.

Il n’y a pas dans « A mighty heart » une surabondance de considérations sur un contexte géopolitique qui garde, encore de nos jours, toute sa potentialité d’effroi. Son propos est ailleurs. Dans la volonté de capter les tressautements d’un moment d’attente de 6 jours qui suit la (mauvaise) rencontre entre un destin individuel et un mouvement terroriste.

Il y a dans « A mighty heart » de l’horreur et de la souffrance, de la dignité et de la vulnérabilité interprétées par des acteurs qui arrivent à s’effacer devant leurs personnages. On aurait juste aimé que ce retrait se fasse, dans le chef d’Angelina Jolie, avec une application moins scolaire. Comme si pour elle jouer était avant tout satisfaire aux conditions d’un cahier des charges.

Cette mécanicité, qui l’affaiblissait dans son rôle d’épouse de Matt Damon dans « The good sheperd » de Robert de Niro, n’est peut-être qu’un reste de la virtuelle Lara Croft, appelé à disparaître au fil des films qui la sépareront de son premier hit sur grand écran.

Auquel cas, se superposeront, avec une appréciable sincérité, les qualités d’indépendance de la femme privée et de liberté de l’actrice. (m.c.a)

 

(*) du nom du titre du premier essai "La barbarie à visage humain" du philosophe Bernard-Henri Levy qui s’est interrogé sur la mort du reporter dans "Qui a tué Daniel Pearl ?" paru en 2003 chez Grasset et en 2005 en livre de poche. Aucune allusion à ce livre n’est faite par Michael Winterbottom.