Un moment unique au cinéma ! une grande expérience cinématographique artistique et émotionnelle ! une rencontre entre deux êtres exceptionnels , le réalisateur Wim Wenders et Anselm Kiefer, peintre, sculpteur et plasticien, l’un des artistes contemporains les plus importants.
Ce film est tout cela sauf une biographie de l’artiste allemand ainsi qu’aime à le dire Wim Wenders : " ….Le travail et l’art valent la peine d’être explorés dans un film, que ce soit pour mieux les comprendre moi-même ou, mieux encore, pour permettre à d’autres de les voir. La stupéfiante quantité de travail, la complexité des références d’Anselm aux mythes, à l’histoire, à l’alchimie, à l’astronomie, à la physique et à la philosophie me sont d’abord apparues comme des obstacles insurmontables. Mais le fait de filmer tout cela et de visiter les lieux marquants du parcours d’Anselm m’a permis d’y voir plus clair."
Pari réussi , dès les premières secondes du film, vous serez « immergé » par la beauté des images mises en relief par le procédé 3D (on vous remettra à l’entrée des lunettes spéciales) et tournant, sur fond d’une voix musicale, autour d’une œuvre d’art sous forme d’une robe posée, dont la traine, arrosée de rosée, se perd dans les feuillages.
Le film est empreint des blessures laissées par la guerre : "Nous ( Wenders et Kiefer) avons passé notre enfance dans le même pays en ruines, avec une image de soi détruite, peuplé d’adultes - y compris des parents et des enseignants - qui voulaient frénétiquement se créer un avenir et qui essayaient tout aussi frénétiquement d’oublier le passé « …. L’œuvre d’Anselm Kiefer est profondément ancrée dans l’histoire de l’Allemagne, l’artiste étant comme obsédé par le besoin de faire vivre la mémoire de ce passé tragique, de le questionner et de le représenter. Son art exprime le rejet du silence entourant le nazisme, tel un lanceur d’alerte sur le devoir de mémoire.
Wim Wenders plonge le spectateur dans le monde créatif d’Anselm Kiefer par le biais d’allers et retours entre le passé et le présent, par les visites des lieux où il créé ses ateliers : l’Odenwald au début. Ensuite Barjac, dans le Gard en France (1) , véritable village imaginé par Kiefer , qui regroupe diverses constructions architecturales, des tours étranges, de nombreux pavillons, des cryptes souterraines et même un gigantesque amphithéâtre couvert. Hallucinant ! Et enfin Croissy, prés de Paris où il occupe un entrepôt de 36 000 mètres carrés ayant appartenu à la Samaritaine, .
Lorsque l’écran s’éteint, on reste un instant immobile, conscient d’avoir pu, l’espace d’un si court moment, s’immerger, car il n’y a pas d’autre mot, dans l’œuvre de Kiefer. Car, comme dit Wenders « C’est l’œuvre elle-même qui est le moteur du film, c’est une biographie de son art. ….
En sortant de ce film magnifique , on peut dire : « J’étais dans le monde d’Anselm »..
(1) La Ribaute, ancienne filature de Barjac, où Kiefer y passera quinze ans, y installant sa famille et y construisant 80 espaces artistiques éparpillés sur les 40 hectares de la propriété. A son départ, en 2007, La Ribaude devient la Fondation Eschaton que l’on peut désormais visiter.
France Soubeyran