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BANDE DE FILLES

Céline Sciamma

Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Mariétou Touré

112 min.
22 octobre 2014
BANDE DE FILLES

Exit la blonde aux yeux bleus à la taille de guêpe qui pèse 45 kilos toute mouillée et qui se débat avec ses interrogations narcissico-nombrilistes.
Place à Marieme, une jeune fille noire de 16 ans qui réside dans la banlieue parisienne tout autant qu’elle vit à la périphérie d’elle-même. Archétype de la gentille fille, Marieme s’occupe docilement de ses petites sœurs pendant que sa mère travaille la nuit en tant que femme de ménage ; elle s’accommode des lois d’une cité régie par des codes masculins archaïques, et tâche tant bien que mal de trouver sa place au sein d’un territoire familial qu’un big brother paternaliste juge bon de régenter. Le jour où il lui est refusé de suivre la filière scolaire « normale » pour la diriger vers un C.A.P., Marieme rencontre une bande de filles qui savent y faire dans le jeu de la provoc. Une rencontre déterminante qui lui fera emprunter un nouveau chemin vers la construction de soi. Dès lors, Marieme changera de look, deviendra Vic et intègrera le clan des bad girls .

D’entrée de jeu, la scène d’ouverture donne le ton à travers la force de son casting 100% black et majoritairement féminin : des filles jouent au football américain, elles se donnent à fond et exultent de joie à la fin du match, le tout accompagné d’une musique électro soft composée par Para One (Jean-Baptiste de Laubier), fidèle complice de la réalisatrice, Céline Sciamma. S’ensuit le retour vers la cité, la chape nocturne des HLM, les chuchotements remplacent la franche rigolade sous le regard appuyé des garçons qui trainent dans le quartier. Puis le silence se fait.

Bien que Bande de filles ne fasse pas l’économie de certains clichés propres à l’univers de son héroïne, Céline Sciamma parvient à les sublimer en évitant de faire de ce film un documentaire social, grisâtre et misérabiliste sur la banlieue. En optant pour une immersion intimiste dans la vie d’une jeune femme en devenir, qui tâche de s’affranchir de la coupe masculine dans l’altérité féminine mais qui est également confrontée, dans la solitude, aux choix qui détermineront ses perspectives d’avenir, la réalisatrice dresse avec sensibilité et affection, mais sans angélisme doucereux, le portrait vivant d’une personnalité aux multiples facettes, susceptible de bousculer ou pas ses déterminismes sociaux.

Bande de filles , c’est aussi une belle alchimie et une bonne dose d’énergie : celle de quatre filles tantôt rebelles, violentes et désinhibées qui parlent fort et ont un côté bling bling, tantôt gamines et fleurs bleues qui rêvent secrètement d’un ailleurs comparable à celui de Disneyland. Car ces filles savent se battre, elles font du racket pour s’offrir une chambre d’hôtel, y partager une pizza, chanter, danser, et croire, le temps d’une chanson, qu’elles sont des « diamonds in the sky ». S’il n’y a qu’une scène à retenir, c’est peut-être celle-là tant on perçoit la tendresse et la sincère empathie que Céline Sciamma éprouve pour ses personnages. Preuve est faite, dans cette séquence filmée à la manière d’un clip, qu’aujourd’hui encore, il faut se battre pour avoir Une chambre à soi  [1] .

Soulignons enfin l’audace d’une réalisatrice qui fait briller à l’écran des jeunes femmes noires que l’on rencontre pourtant partout mais qui, jusqu’à présent, demeuraient totalement dans l’ombre du cinéma français.

( Christie Huysmans )


[1] A Room of One’s Own (Une chambre à soi) est un essai de Virginia Woolf, publié en 1929, lequel regroupe une série de conférences données en octobre 1928 dans deux collèges de l’université de Cambridge. À travers ce pamphlet féministe, la romancière anglaise y défend l’idée qu’ il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction .