Déception
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BELGICA

Felix van Groeningen

Stef Aerts, Tom Vermeir, Charlotte Vandermeersch, Dominique Van Malder…

127 min.
1er mars 2016
BELGICA

Après le triomphe planétaire remporté par The Broken Circle Breakdown [1], le cinquième long-métrage du réalisateur belge Felix van Groeningen était impatiemment attendu. Triste rançon de la gloire : lorsque l’on s’approche trop près de la perfection, il est d’autant plus périlleux de se surpasser, de surprendre ou de contenter une critique, inévitablement pointilleuse, lorsque celle-ci, l’œil rivé sur le passé, place très haut son niveau d’exigence et d’expectative. (C’est d’ailleurs ce qui pend également au nez du prodigieux Xavier Dolan dont la sortie de son prochain film, Juste la fin du monde , est prévue cette année.)

L’art étant aussi difficile que la critique est aisée, peu de choses peuvent être globalement reprochées à Belgica .

La bande originale, fabuleusement éclectique, que l’on doit intégralement à Soulwax (2manydjs) inonde déjà depuis quelques semaines la bande FM avec un redoutable succès. La longue intrusion de Bashung au beau milieu de cet audacieux tourbillon musical offre aussi une très belle parenthèse scénique qui ne passe pas non plus inaperçue. La mise en scène, parfaitement maîtrisée, comporte des mouvements de caméra mémorables, et à ce titre, il n’est guère étonnant que le film ait remporté le prix du meilleur réalisateur au prestigieux Festival Sundance. Côté casting, Felix van Groeningen fait visiblement preuve d’un flair hors-pair pour dénicher d’excellents acteurs et démontre une nouvelle fois son talent à les diriger. On retiendra notamment l’impressionnante performance de Tom Vermeir, plus familier du monde théâtral, qui incarne son premier rôle dans un long-métrage, et donne à son personnage, aussi toxique que démesuré, une époustouflante crédibilité et une vigueur paroxysmique. Mérite aussi d’être soulignée la justesse quasi naturaliste avec laquelle le cinéaste nous plonge dans le milieu de la nuit où l’alcool, la drogue et le sexe forment un cocktail aussi explosif qu’addictif. Même l’affiche du film, qui contient une bonne dose de provocation, ne peut elle aussi qu’attirer l’attention.

Mais, mais… Belgica pèche avec un gros hic, et non des moindres : sa dramaturgie n’offre aucun climax digne de ce nom. Pendant plus de deux heures, le réalisateur place le spectateur dans l’attente d’une explosion dramatique, qui n’arrive jamais. La lacune est de taille car, au final, Belgica laisse un sentiment de frustration voire de déception, ce qui est d’autant plus regrettable en regard de la qualité d’ensemble du film.

Van Groeningen donne l’impression d’avoir été incapable de faire un choix radical dans l’orientation à donner à son scénario. Ses atermoiements continuels entre, d’une part, l’évolution ascendante et les revers de fortune d’un café qui deviendra le lieu de perdition le plus couru de la ville, et d’autre part, le tandem houleux que forment deux frères aux tempéraments bien différents, diluent progressivement la substantifique moelle de la trame, allant même jusqu’à susciter un certain ennui. On ne peut aussi que déplorer une fin bien trop fleur bleue, qui laisse une sensation de désir inassouvi, et qui ne colle que très difficilement avec l’atmosphère électrique du film et la personnalité flinguante, magnifiquement excessive, de l’un de ses protagonistes.

Le fait même d’avoir entrepris la réalisation de Belgica, qui s’inspire de l’histoire du café-concert le Charlatan situé sur la Vlasmarkt de Gand et que le cinéaste a personnellement bien connu, laisse d’ailleurs à penser que Felix van Groeningen a peut-être davantage voulu se faire plaisir et contenter une bande de potes, noceurs invétérés, plutôt que d’avoir cherché à satisfaire un public potentiellement très large.

Il ne fait nul doute que, tel un blockbuster, Belgica remplira les salles du nord du pays non seulement au vu du tapage médiatique dont il bénéficie déjà musicalement mais aussi compte tenu de la personnalité de son réalisateur, adulé comme une star en tant que Bekende Vlaming par un public régionalement acquis à sa cause. Il est par contre beaucoup moins sûr que la presse cinématographique dans son ensemble le porte aux nues car le film ne peut se prévaloir de réunir toutes les qualités indispensables qui permettraient de le qualifier de chef-d’œuvre.

Belgica mérite donc d’être vu à condition pour le public de modérer au préalable ses attentes et de faire preuve d’indulgence s’il ne veut pas être franchement déçu.

( Christie Huysmans )

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[1] Récompensé par le CinéFemme Award dès 2012, The Broken Circle Breakdown , sorti en France sous le titre Alabama Monroe, fut en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger et obtint, entre autres, le César du meilleur film étranger en 2014.