Les brèves des Festivals

BRUSSELS FILM FESTIVAL 2015

Christie Huysmans
18 juin 2015
BRUSSELS FILM FESTIVAL 2015

La 13ème édition du Brussels Film Festival s’est clôturée ce vendredi 12 juin par la cérémonie de remise des prix en présence des lauréats. Le jury officiel était composé du réalisateur français Christian Carion, du réalisateur belge Olivier Masset-Depasse, de l’actrice italienne Antonella Salvucci, de l’actrice belge Erika Sainte et du comédien flamand Wim Willaert.

Le festival s’était ouvert le 5 juin dernier avec le film La Loi du Marché ( lire notre chronique ) en présence de son réalisateur Stéphane Brizé et de son interprète principal Vincent Lindon qui ont offert une belle rencontre à un parterre de 800 spectateurs.

Pour sa treizième édition, le Brussels Film Festival peut se targuer d’avoir présenté un panel cinématographique d’une très haute qualité, et l’on peut se réjouir de la justesse du Palmarès, lequel récompense incontestablement tous les films qui méritaient d’être mis à l’honneur. On remarquera également l’appréciable parité hommes-femmes parmi les cinéastes concourant dans la compétition.

Comme l’a souligné le Président du Jury, Christian Carion, tous les films que nous avons eu le plaisir de découvrir étaient loin de l’univers de Disney World : du suicide assisté à l’anorexie en passant par le post-traumatisme nazi, les thèmes abordés cette année étaient particulièrement durs mais intelligemment traités. Si ces films, qui s’inscrivent dans la contemporanéité européenne, sont autant de révélateurs du handicap social et humain ainsi que du malaise existentiel du Vieux Continent, gageons que la force du cinéma puisse réveiller les consciences endormies en suscitant le débat et en élargissant le champ de la réflexion. On peut d’ailleurs regretter à cet égard que la majorité des films primés n’ait pas encore trouvé de distributeur dans notre pays.

Rough Road Ahead : Ever and never again

Réalisateur : Christian Frosch

Avec : Victoria Schulz, Anton Spieker, Ben Becker, Erni Mangold

Indéniablement le plus réussi de tous les films en compétition, Rough Road Ahead a remporté à juste titre le Golden Iris Award . Filmé en majeure partie en noir et blanc, le sixième long-métrage du réalisateur autrichien Christian Frosch s’attaque avec une force subversive et une esthétique exceptionnelle aux séquelles post-traumatiques du nazisme. Confirmant la lucidité actuelle d’un pays qui ne finira jamais de porter le faix de sa culpabilité historique, Christian Frosch fait partie des cinéastes de langue allemande qui tâchent d’expier avec un discernement radical et une fermeté dénuée de toute complaisance le tribut que les générations d’après-guerre ont payé et paient toujours pour les erreurs impardonnables commises par leurs aînés. Cette piqûre de rappel, aussi artistiquement belle que politiquement nécessaire, démontre non seulement ô combien la fin de la guerre n’a pas pour autant sonné le glas de l’idéologie fasciste mais dispense aussi une claque magistrale à une Eglise dont la miséricorde fonctionnait selon les principes de la Doppelmoral (deux poids deux mesures).

Partant d’une histoire d’amour entre deux adolescents que la décence ambiante réprimera manu militari, le cinéaste s’immisce en oblique dans toutes les fissures de l’héritage nazi, et active subtilement le jeu du domino intergénérationnel. Car si les deux jeunes amoureux, Ruby et Martin, ont à subir en première ligne les relents d’un passé dont ils ne sont que les descendants, parents, grands-parents et institutions ne sont pas moins exemptés des soubresauts de l’Histoire. Comment ne pas sombrer dans la folie ou succomber à la violence ? De quel système éducatif faut-il pourvoir la jeune génération lorsque l’on est miné par la peur et la culpabilité ? Comment sortir des schémas de pensée que le venin de la propagande a inoculé dans toutes les strates de la société ? Entre l’impuissante démission d’un père claustrophobe, la couardise d’une mère soumise au patriarcat machiste de son époux, la compromission d’un tyran ultra-conformiste et l’errante démence d’une grand-mère en perte de repères, Christian Frosch dresse le portrait de deux familles hantées par le national-socialisme que le crime de l’amour va réunir devant les tribunaux. Coupables de s’aimer éperdument, condamnés pour avoir aspiré à un changement trop radical porté par l’optimisme des sixties, les deux adolescents seront séparés et placés en détention dans des lieux qui s’apparentent à s’y méprendre à l’univers concentrationnaire. Ruby sera cloîtrée dans un couvent ; Martin sera placé dans un centre de redressement. Livrée au sadisme de « bonnes » sœurs bien éloignées de l’enseignement des Évangiles, elle ne portera plus son nom mais sera estampillée d’un numéro ; lui sera soumis au labeur tel un prisonnier condamné aux travaux forcés et sera traité comme un sous-homme. Pour tous deux, la prison familiale sera remplacée par l’humus carcéral ; un sol où éducation rime avec humiliation.

Distillant une poésie à l’image du chromatisme de son film, le réalisateur exhume adroitement les oripeaux du fascisme germanique tout en faisant claquer certaines sentences avec la violence d’un fouet. « Quand la vie est un enfer, la mort devient une épiphanie », dit Martin. Un psaume qui s’applique tout autant aux sacrifiés de l’Histoire qu’aux générations crucifiées, et qui, espérons-le, aura à l’avenir un effet dissuasif à l’égard de toute tentation totalitaire.

In Your Arms : If you don’t believe in an interventionist God

Réalisateur : Samanou Acheche Sahlstrøm

Avec : Lisa Carlehed, Peter Plaugborg, Johanna Wokalek

Niels est atteint d’une maladie des nerfs dégénérescente et incurable. Il n’a qu’une seule idée en tête : en finir avec la vie. Maria est son aide-soignante ; son rôle : l’aider à vivre. Tous deux entameront un voyage en Suisse, un voyage qui pour Niels sera sans retour car il a demandé l’aide d’une institution spécialisée dans le suicide assisté. Film touchant et violent, pétri d’un réalisme délicat et pourtant parfois teinté d’un cynisme brut, In your Arms flirte simultanément avec la vie et la mort. La sensualité y côtoie la crudité ; l’éloquence des silences rencontre la déliquescence des mots ; la dérision est une provocation face à la vanité de la souffrance. Récompensé du White Iris Award , ce film danois mérite vraiment le voyage même si l’on peut regretter que son réalisateur ait succombé à la tentation d’un banal cliché au seuil de sa destination finale. Fort heureusement ce maladroit croche-pied est largement compensé par l’inégalable voix de Nick Cave qui clôt ce film avec le titre Into My Arms

Body : De chair et d’esprit

Réalisatrice : Malgorzata Szumowska

Avec : Janusz Gajos, Maja Ostaszewska, Justyna Suwala

C’est avec intelligence, subtilité, sensibilité et une sobriété parfois clinique que la réalisatrice polonaise explore les liens intimes et complexes qui unissent le corps et l’esprit à travers Body

Janusz (Janusz Gajos) est procureur. Rationnel, méticuleux et capable de mettre son affect de côté dans l’exercice de ses fonctions, il pratique son métier avec la distance professionnelle qui est nécessairement requise. La mort, il la côtoie quotidiennement sous toutes ses coutures, et ses formes les plus abjectes ne le surprennent plus. Cependant, si sur le plan professionnel, Janusz n’est pas un homme facilement impressionnable, il n’en va pas de même dans sa vie privée. Le comportement de sa fille, Olga (Justyna Suwala), qui est devenue anorexique depuis le décès de sa mère, le désarçonne et le laisse démuni. Entre eux, la communication ne passe plus, le fossé du silence et de l’incompréhension les ont rejetés sur deux rives opposées. Tout les sépare : il boit, il mange, il est gros ; elle, est maigrissime, elle s’affame ou se fait vomir, et surtout elle le déteste d’être encore en vie alors que sa mère est morte. Après une énième tentative de suicide, Janusz la fait hospitaliser. Encadrée médicalement, Olga fait la connaissance d’Anna (Maja Ostaszewska), une psychologue qui, en dehors de ses activités professionnelles, a développé le don de communiquer avec les morts depuis le décès de son bébé.

La grande force de Body est sans aucun doute de ne jamais verser dans un ésotérisme fantasque, et ce, notamment grâce à la force cartésienne de son acteur principal, qui recentre continuellement le débat et réalise d’ailleurs une remarquable prestation. Film riche en réflexions sans sombrer dans l’intellectualisme ou le spiritisme, Body aborde un
panel de sujets qui semblent naturellement se faire écho et où la barre de la rationalité maintient fermement son cap en dépit des tentations surnaturelles qu’il évoque : la difficulté de faire son deuil, une réflexion sur le corps et la relation qui l’unit à l’esprit, la méditation qui scande le pas des cœurs orphelins, les conflits inévitables qui se jouent entre l’espoir, la croyance et le rationalisme.

Déjà couronné de l’Ours d’Argent au dernier Festival de Berlin, Body est reparti du Brussels Film Festival avec le Prix du Jury


Dora or The Sexual Neuroses of our Parents : Une Formidable Dora Explor-actrice pour les grands

Réalisatrice : Stina Werenfels

Avec : Victoria Schulz, Jenny Schily, Lars Eidinger, Urs Jucker

 
Comme Christian Carion, le Président du Jury, l’a très justement fait remarquer, il est bien regrettable que le Festival ne décerne aucun prix aux acteurs, car Victoria Schulz (également l’affiche avec Anton Spieker dans Rough Road Ahead ) est sans nul doute l’actrice qui a marqué les esprits des festivaliers. Déjà impressionnante dans le film de Christian Frosch, l’actrice berlinoise est absolument extraordinaire dans le rôle de Dora, une handicapée mentale de dix-huit ans qui s’éveille à la sexualité.

Dora or The Sexual Neuroses of our Parents est une réussite… presque totale. Percutant, troublant, sensible et nimbé d’une photographie à la tonalité poétique, le film de Stina Werenfels interroge avec pudeur mais sans tabous nos plus profondes certitudes sur la sexualité. Étendant son sujet à la maternité et à la paternité, cette audacieuse adaptation de la pièce de Lukas Bärfuss explore de front l’éveil à la sensualité d’une jeune femme handicapée tout autant qu’il franchit de biais les frêles frontières de la sexualité dite « normale ». En déflorant nos a priori et en effeuillant une à une les normes sexuelles, la réalisatrice suisse esquisse avec brio la complexité de l’épanouissement sexuel (du bien-être à la perversion) et aiguise avec une tranchante adresse le sens commun. Doublement récompensé, ce film est une petite merveille, et il est d’autant plus dommage qu’il se clôt sur une fin en queue de poisson pour le moins déconcertante.

Considéré comme provoquant par la presse allemande mais néanmoins applaudi par la critique dans le cadre du dernier Festival de Berlin où le film concourait dans la section Panorama, Dora or The Sexual Neuroses of our Parents s’est vu décerner le Cinelab Award for Best Image et le Cineuropa Award.

Bridgend : Quand la réalité dépasse la fiction

Réalisateur : Jeppe Rønde

Avec : Hannah Murray, Steven Waddington, Josh O’Connor

C’est d’un fait réel que le documentariste danois Jeppe Rønde s’est emparé pour réaliser son premier long-métrage. Bridgend, c’est une petite ville du Pays de Galles où en quelques années à peine, 79 adolescents se sont suicidés. La raison de ces morts tragiques étant toujours non élucidée à ce jour, le spectateur restera inévitablement sur sa faim car la fiction ne transgresse nullement la réalité d’une énigme qui demeure entière. Néanmoins, Bridgend n’en demeure pas moins stupéfiant tant sur le fond que sur la forme. En se dépouillant de toute approche documentaire, Jeppe Rønde parvient à créer une atmosphère asphyxiante qui s’approche autant du polar que du thriller psychologique. En s’infiltrant dans une petite communauté où un profond malaise s’est enraciné de manière perverse et prégnante, Bridgend nous plonge dans le lac glauque et insondable d’une adolescence infiniment désenchantée. L’histoire est bouleversante, la beauté de certaines images rentre en collision frontale avec la brutalité de la violence faite envers soi-même. Rien d’étonnant à ce que ce film ait séduit le Jury Jeunes et ait remporté l’ UPS Cinephile Award .

Gluckauf : La faute à pas de chance

Réalisateur : Remy van Heugten

Avec : Johan Leysen, Ali Ben Horsting, Vincent van der Valk

Si l’on excepte un début quelque peu invraisemblable et une fin inutilement mélodramatique, Gluckauf(*) dresse un « beau » portrait aux accents naturalistes des liens qui unissent et désunissent père-fils sur trois générations. Lei, la cinquantaine, vit de petites combines et de petits trafics. Son père était mineur, alcoolique et l’a toujours délaissé. De son géniteur, il n’a jamais reçu ni affection ni sollicitude. Pour compenser son manque, Lei n’a rien trouvé de mieux que d’enlever son fils Jeffrey à son épouse (qui demeure étonnamment passive). Il a tâché de l’élever comme il a pu ; à sa manière, il l’aime, et il lui a tout donné. Lorsque Jeffrey découvre que son père est endetté auprès d’un criminel local bien connu de tous, il décide de l’aider. Cependant cette entraide ne se fera pas sans générer des conflits entre le père et le fils.

L’univers de Gluckauf suinte le poisseux, le crasseux et le sordide, et pourtant ce « social garbage » (renforcé par un dialecte qui demeure seulement compréhensible pour les initiés) éclaire de façon brillante la complexité des relations indéfectibles entre un père et son fils. En explorant le creuset de l’héritage humain tout autant que celui de l’hérédité, ce film social tient du naturalisme moderne. Comment ne pas devenir un loup lorsque l’on a été élevé par un loup ?, nous demande ce film néerlandais.

Gluckauf a été couronné du Best Screenplay Award remis par l’Asa (l’Association des Scénaristes de l’Audiovisuel-Belgique).

Gluckauf est une expression venant de l’allemand ( Glück auf ) que les mineurs avaient coutume de s’adresser afin de se souhaiter bonne chance avant de creuser une nouveau filon.

Flocking : Une chasse au coupable

Réalisatrice : Beata Gårdeler 

Avec : Fatime Azemi, John Risto, Eva Melander, Malin Levanon

Le quotidien d’un paisible village suédois est bouleversé lorsque Jennifer accuse un élève de sa classe de l’avoir violée. Tandis que la police mène son enquête, cette affaire devient rapidement celle de tous les villageois. L’accusé est issu d’une bonne famille et il est, à ce titre placé, au-dessus de tout soupçon. (Pour la mère du gamin, il est tout simplement inenvisageable que son fils ait pu commettre les faits qui lui sont reprochés). Jennifer ne peut se prévaloir d’un tel héritage, et elle, qui est déjà marginalisée par une petite communauté où la mentalité de clocher va bon train, est désormais proche de l’ostracisme.

Le sujet abordé par Beata Gårdeler n’est pas sans rappeler Jagten ( La Chasse ) de Thomas Vinterberg. Cependant la réalisatrice porte un regard perçant et féminin sur un évènement qui ne demeure nullement anodin et qui, en sus, s’inspire d’une triste réalité (des faits similaires ont en effet eu lieu Suède très récemment). Force est également de souligner la dextérité avec laquelle la cinéaste étire au maximum la force des silences et l’intelligence avec laquelle elle insinue le doute en déjouant systématiquement les attentes du spectateur. 


Life In A Fishbowl : et si les fils fragiles de la vie étaient reliés à la même pelote de laine ?

Réalisateur : Baldvin Zophoníasson

Avec : Thor Kristjansson, Hera Hilmar, Ingvar Þórðarson

Reykjavik, après la crise économique de 2008. Mori, un poète réputé, noie son chagrin dans l’alcool et erre comme un clochard dans les rues de la capitale islandaise. Au cœur de cet homme en détresse est ancré un passé inavouable qui le fait dériver comme un rafiot abandonné aux caprices de la mer. Eik, puéricultrice de jour, prostituée la nuit, essaie de joindre les deux bouts pour élever seule sa petite fille. Sölvi, ancien footballeur, mari et père comblé, découvre la corruption dans l’entreprise qui l’a embauché. Trois vies, trois univers, que le destin va réunir durablement pour le meilleur comme pour le pire.

C’est avec l’aisance d’un poisson dans l’eau que l’on se glisse dans les méandres de ce superbe film choral. En faisant preuve d’une immense tendresse à l’égard de tous ses personnages, Baldvin Zophoníasson saisit le spectateur dans ses filets dès la première minute et ne lâche jamais sa prise. On se laisse tout simplement porter par les flots de ces vies qui, même si elles accostent parfois sur les rives du prévisible, ne déçoivent néanmoins jamais.

Zurich : courage, fuyons !

Réalisatrice : Sacha Polak

Avec : Barry Atsama, Wende Snijders, Sascha Alexander Gersak

Nina est folle de douleur. Femme endeuillée et inconsolable, elle noie son chagrin insubmersible dans une fuite erratique où les moments de paix sont rarissimes. Même si la réalisation de ce film, qui prend parfois des allures de road-trip, peut se targuer d’une certaine réussite, la vacuité de son scénario rivalise avec le plus vaste no man’s land. 

The Lesson : une leçon, oui, mais pas de cinéma !

Réalisateurs : Kristina Grozeva / Petar Valchanov

Avec : Margita Gosheva, Ivan Burnev, Ivanka Bratoeva

Dans une petite ville bulgare, Nadezha est professeur d’anglais dans une école secondaire. Alors qu’un vol a eu lieu au sein de sa classe, elle décide d’inculquer la notion de bien et de mal à ses élèves en tentant de trouver le coupable. Ses préceptes vont être mis à mal le jour où un huissier lui annonce que sa maison est sur le point d’être saisie et mise aux enchères.

À moins de servir d’exemple à ne pas suivre pour les futurs réalisateurs, The Lesson est tout sauf une bonne leçon de cinéma. Bâti selon l’inamovible loi de Murphy, ce film excelle dans les clichés et tisse une intrigue cousue de fil blanc où chaque situation est systématiquement téléphonée.