Gala CinéFemme 2011
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CARNAGE

Roman Polanski (France/Allemagne/Pologne 2011)

Judie Foster, Kate Winslet, John C.Reilly, Christoph Waltz

80 min.
14 décembre 2011
CARNAGE

Existe-t-il un art du vivre ensemble ?

Question vraisemblablement existentielle pour un Polanski assigné à résidence de longs mois dans son chalet suisse dans l’attente que l’on peut supposer angoissante et angoissée d’une éventuelle extradition aux USA pour y répondre de fait remontant à plus de 30 ans.

Question à laquelle il va donner, dans ce film adapté, sans y être totalement fidèle dans sa scène finale, d’une pièce (*) de Yasmina Reza, une réponse à la fois claire et complexe.

Claire parce que le parti pris, à moins que ce ne soit la vérité, de proposer comme méthode de résolution des conflits la violence ou l’ironie agressive est évidente.

Complexe néanmoins parce que si le récit commence par une dispute entre deux jeunes garçons (**), se poursuit par le retentissement de celle-ci sur la conduite de leurs parents, il se termine par un armistice sur les lieux même du conflit entre les pré-adolescents pendant que les adultes ont transformé le salon de l’un des couples en saloon.

Saloon de western dans lequel les duels seront nombreux, de moins en moins feutrés et implacablement traqués par une caméra peu soucieuse de crédibiliser la façade BCBG des intervenants.

Aussi nombreux que les conflits exprimés par les personnages. Conflits conjugaux, de classes sociales, conflits entre sexes et enfin (surtout) conflit intérieur (***) entre la nature humaine, restée primitive et les bonnes manières qui nous ont été inculquées par des siècles de civilisation.

A la fois drame bourgeois, vaudeville urbain et comédie de mœurs, « Carnage » pose sur notre quotidien un regard acéré, critique, drôle sur une dispute dont les armes ont pour noms hypocrisie, cynisme et hystérie.

C’est la deuxième fois que Polanski choisit de cadrer son action à New York. En 1969 c’était autour du berceau de l’enfant du diable dans « Rosemary ‘s baby », en 2011 c’est à quelques encablures du Brooklyn Bridge dans un appartement cosy et bobo transformé en redoutable huis clos qu’il poursuit la thématique qui lui est chère.

Observer, cerner et laisser s’épanouir jusqu’à l’excès et sans grand espoir de retour en marche arrière le mal-être (ou la folie) qui gît en chacun de nous.

Après « Repulsion », « Le locataire », « Ghost writer » il va dépiauter ce qui se cache derrière les apparences et les façades de la normalité, ce qui fait exploser les vertu de la bienveillance et de la tolérance lorsqu’elles butent sur une réalité que l’on ne parvient plus à gérer dès qu’elle est gangrenée par l’ambivalence, la contradiction et l’angoisse.

Pour donner corps à ce film qui revendique ouvertement son origine théâtrale, 4 acteurs, tous impeccables, qui jouent et se jouent des répliques avec autant de punch et de férocité redoutable que des pongistes en sélection finale d’un championnat.

Chacun apportant sa griffe de cynisme, de cruauté, de délire (éthylique souvent) à cette méticuleuse mise à mal des bienséances et des emballements caritatifs censés rendre la vie en société meilleure.

Mise à mal qui écaille peu à peu le glacis culturel d’une classe sociale soucieuse de respectabilité avec autant d’efficacité qu’une goutte d’acétone sur du vernis.

Fût-il de la meilleure qualité. (mca)

(*) "Le Dieu du carnage" paru aux éditions Magnard, collection collège/lycée

(**) est-ce un hasard si ce sont les incisives de l’un qui sont molestées - ce sont les dents qui servent à (se) déchiqueter ?

(***) que Freud appelle "malaise" dans l’un de ses essais toujours d’actualité " le malaise dans la culture" édité aux PUF.