Grigori Dobrygin, Serguei Puskepalis
Selon Jean-Luc Godard (*), c’est à Aristote que nous devons la création de la conjonction « donc » laquelle exprime, avec l’apparence implacable de la logique, une conséquence à une idée.
Ainsi du « Je pense donc je suis » de Descartes au « Je danse donc je suis » de Brigitte Bardot, le procédé est le même.
Introduire une conclusion à une proposition. Aussi sérieuse ou légère soit-elle.
Pourrait-on dès lors dire de « Comment j’ai passé … » qu’il est un film qui présente la mésentente entre deux individus que tout sépare - l’âge, l’expérience, la capacité de résistance, la sensibilité - comme une alternative à une solitude violemment ressentie.
« Nous nous ennuyons donc nous nous querellons ».
Pavel et Sergueï sont lâchés sur une île déserte de l’océan Arctique avec une mission bien étrange - transmettre des relevés d’appareils de mesure météorologique et ce dans un but qui semble être moins d’obtenir des graphes à utilité scientifique qu’à rassurer le monde qu’ils ont laissé derrière eux ( ou qui les a laissés livrés à eux-mêmes) sur leur capacité d’exister loin de tout.
On hésite beaucoup dans ce film. Que l’on soit l’un des deux protagonistes d’un drame en train de se mettre en place ou que l’on soit le spectateur.
Devant comme derrière l’écran chacun semble fasciné par l’immensité d’un territoire qui dévoile lentement son étrange et infinie beauté et en même temps perplexe devant ce qu’il convient de faire.
Ou de penser d’une histoire qui hésite entre le conte cruel et la fable humaniste.
De longs plans fixes qui font penser à l’œuvre de Michael Snow « La région centrale » (**), un décor qui convoque volontairement celui de « The thing » de John Carpenter, une atmosphère de huis-clos maléfique (dans laquelle on peine à s’installer) font de « Comment j’ai …. » un film aux contours incertains.
Que l’on regarde avec une sensation de brouillard comme celle de vivre un rêve (cauchemar ?) éveillé. Coincé entre un corps qui s’assoupit et un esprit en campagne.
Un rêve un peu long. Puisque le film dure plus de 2 heures.
Il existe des façons plus stimulantes de « passer » le temps.
Les deux acteurs ont reçu le prix de la meilleure interprétation masculine au festival de Berlin 2010.
Le film a reçu le prix de l’Aigle d’Or 2011. Récompense créée en Russie, il y a 9 ans, à l’initiative de Nikita Mikhalkov. (mca)
(*) in « Le point » du 21 juillet 2011 page 10
(**) chroniqué sur ce site lors de sa présentation à Cinematek en février de cette année lors d’une rétrospective-hommage au réalisateur