Olivier Espitalier-Noel, George McBean, Robert Oates et des acteurs non professionnels,
Il est des films dont l’intérêt croît à chaque plan.
"Culloden" est de ceux -là. Parce qu’il instille une force peu commune qui étreint comme peut le faire une émotion lorsque, dégraissée de tout superflu et de toute vanité, elle finit par créer un choc mental qui pousse à s’impliquer c’est-à-dire à se poser des questions sur les intérêts d’un enjeu mis en scène avec intelligence et intransigeance et rappelant avec logique et insistance que le cinéma, comme les media, ne sont pas la réalité.
Ils ne font que la représenter.
Dans ce premier « faux documentaire » de 1964 pour la prestigieuse BBC, cet enjeu - l’indépendance de l’Ecosse qui se joue sur un bout de terrain plat et sans refuge à Culloden le 16 avril 1746 - nous parle, à travers un cas particulier, des brutalités, des trahisons, des souffrances, du Dieu au nom duquel on tue et des effets collatéraux de toutes les guerres.
Qui laissent exsangues, désespérés, emplis de hargne les vaincus, fats et cruels les vainqueurs, hors de toute condamnation ou culpabilité les chefs des deux camps.
Ce qui cloue l’esprit dans ce moyen métrage de 75 minutes, c’est essentiellement la profondeur d’un regard sans artifice.
Regard qui double la force d’un point de vue d’une mise en images sobrement cadrées qui ne cède à aucune des sirènes de la facilité.
Au rencart la vitesse de montage qui empêche la réflexion de s’installer, les effets sonores qui matraquent l’attention et le découpage répétitif qui fragmente l’esprit critique.
Et empêche de saisir une œuvre dans sa temporalité et dans sa capacité de faire celui qui la regarde un être capable de réfléchir, de prendre goût à un « spectacle » qui ne le prend pas pour un imbécile né et destiné à le rester.
Spectateur invité à se tenir droit face au film qui se déroule en parallèle au siège sur lequel il est assis.
Invité à ne pas se vautrer mais à faire de sa position une assise lui permettant de prendre conscience qu’il existe des réalisateurs qui veillent à faire de lui un questionneur. Un penseur.
On l’a compris : à Culloden il y a 2 batailles.
Celle d’antan qui oppose la troupe chaotique et affamée du prétendant au trône d’Ecosse, Charles-Edouard Stuart aux régiments d’élites du duc de Cumberland, le fils du roi d’Angleterre George II et celle d’aujourd’hui.
Qui met face à face un cinéma formaté, prémâché, fragmenté et un 7ème art qui propose un voyage dans lequel l’engagement du cinéaste sera reflété par celui du spectateur.
Pour éviter qu’il y ait deux défaites et qu’à celle des Stuart ne s’ajoute, sur l’autel de ce que Peter Watkins appelle la « monoforme » celle d’un cinéma qui dignifie, l’Ecran Total proposé cet été à l’Arenberg, pour sa dernière saison puisque comme chacun le sait et le déplore le cinéma fermera ses portes le 31 décembre 2011, une carte blanche (7 films * ) à l’un des plus grands francs-tireurs de la cinéphilie : Peter Watkins.
Un des pères fondateurs, trop souvent réprimé par une diffusion à dose homéopathique de ses œuvres, du concept de « faux documentaire » dans lequel une syntaxe visuelle et d’une structure narrative bien particulières veillent à ne pas piéger ou manipuler le spectateur par des évènements qui ont toutes les apparences du réel alors qu’ils ne le sont pas.
La subjectivité de Watkins est d’avoir pris avec des pincettes la notion d’objectivité.
Est-cela ce que Jacques Rivette appelait "la conscience lucide" ? (mca)
(*) dont les intrigants « The war game », « Punishment park » et « Eduard Munch »