Marimar Vega, Dario Yazbek Bernal
Pas besoin d’attendre la grande foire estivale du Midi pour éprouver les sensations contrastées des montagnes russes.
Il suffit de se rendre au cinéma et d’assister successivement à deux projections pour connaître le même vertige déconcertant.
Ainsi quels points communs y a-t-il entre l’enjouée « Potiche » de François Ozon et l’accablant « Daniel & Ana » du réalisateur mexicain Michel Franco dont c’est la première réalisation.
Aucun si ce n’est que dans les deux cas, les films méritent d’être vus parce qu’ils ont du coffre et confirment ou annoncent le talent de ceux qui en sont les maîtres d’œuvre.
Si dans la réalisation française le cœur sourit, dans la mexicaine il pleure et s’effare.
Pourquoi la vie est-elle, à certains, si cruelle, si âpre, si malfaisante ?
Difficile d’imaginer scénario plus horrible que celui d’une sœur et d’un frère kidnappés par des "voleurs d’images" d’un nouveau genre : filmer un inceste contraint pour le diffuser dans des circuits classés X.
Plus indigeste encore le fait que cette idée n’est pas née d’une imagination véloce et obscène mais inspirée d’un fait divers réel qui, paraît-il, ne serait pas isolé.
Éloigné de toute intention doloriste ou victimaire, ce film intense happe dès les premières images dans une spirale de ressentis traumatiques que le cinéaste traite avec une lucidité et une force aussi réservées que troublantes.
Laissant au spectateur la liberté d’entrer dans le sujet ou d’en rester à la marge s’il souhaite ne pas se laisser émotionnellement déstabiliser par ce qui lui est montré.
Explicite sans jamais être complaisant dans son traitement frontal des séquences sexuelles, dénonciatrice lorsqu’elle s’intéresse à la solitude à laquelle chacun sera confronté dans sa tentative de reconstruction personnelle, amère quand elle cerne les problèmes d’incommunicabilité familiale, la camera de Michel Franco frappe dur et fait mal.
Parce qu’elle résiste à la surenchère visuelle, refuse toute psychologie simplifiante, échappe à la morbidité alors que celle-ci est un des nœuds du drame, elle arrive à « empathiser » dans ce qu’ils ont de plus intimes et vibrants des tourments et des silences qui évoluent entre la honte, la culpabilité et l’auto destruction.
Pour reconstituer un moment d’horreur et tous ceux qui le suivirent, deux acteurs respectueux du vécu de leurs personnages, évitant d’en rajouter et donnant à voir le poids de leur fardeau en étant, comme chez Gus Van Sant, filmés de dos ou en étant, comme dans le cinéma de la nouvelle école de Berlin, l’objet de plans serrés privilégiant corps et visages.
Partis pris de mise en scène dont l’éloquence monstrative rend les dialogues superflus voire redondants.
Partis pris qui suffisent à moraliser le questionnement sur une société qui accepte, sans émoi particulier ou sanction dissuasive, le principe des diffusions pornographiques clandestines.
Rendant accessibles à tous, portés par d’indifférents pixels, l’un des derniers tabous d’un début de siècle pourtant déjà riche en « immondices ». (mca)