Michael Lonsdale, Lambert Wilson, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Xavier Maly, Loïc Pichon, Jacques Herlin
Elation, dignité, oblation. Voilà un triolet auquel le cinéma contemporain ne nous a pas (ou prou) habitués.
Par quelles voies (celles, impénétrables du Seigneur ?) des hommes sont-ils amenés à accepter une mort programmée ? A affronter, en claire conscience, le sacrifice d’eux-mêmes ?
Double question qui n’est que la rencontre d’une même interrogation « qu’est-ce qui vaut la peine d’être vécu ici bas ? », bien éloignée de ce qui constitue le moteur existentiel de tant d’entre nous, individus pour reprendre l’expression de Charles Melman (*) « sans gravité », sans boussole et sans repère. Juste programmés pour l’aliénation.
De repères, les moines de Tibéhirine, en lisière du mont Atlas en Algérie, n’en manquent pas. Repère divin bien sûr mais aussi repères terrestres. Chez ces Cisterciens, la religion n’isole pas. Centrés sur le silence, le recueillement et l’humilité des tâches quotidiennes imposées par leur ordre, ils veillent à vivre en bon intelligence avec leurs voisins Musulmans, à les aider, à les soigner en cas de besoin.
Au printemps de l’année 1996, en plein cœur de la guerre civile algérienne, 7 de ces hommes de Dieu sont égorgés. Acte de terrorisme barbare dont les auteurs restent, aujourd’hui encore, non formellement identifiés.
Ce n’est pas de façon factuelle, ou du moins uniquement factuelle, que Xavier Beauvois décide de s’intéresser à cette affaire qui, par la qualité humaine de ses protagonistes, ne ressort pas du domaine du fait divers sordide mais de celui, vaste et insondable, des mystères de la foi et du martyre.
C’est avec une lucidité compassionnelle et une hiératique tendresse que le réalisateur se penche sur l’intimité des raisons qui ont poussé ces hommes, malgré leur peur, à ne pas quitter leur lieu de prières et d’assistance aux plus démunis alors qu’ils savaient qu’un danger les menaçait.
La caméra n’est pas toujours perchée sur un pied ou coincée à l’épaule, il arrive qu’elle soit machinée par quelque chose de plus grand, de plus noble qui ne s’adresse pas qu’aux yeux ou à l’esprit du spectateur. Mais à cet espace habité d’une aura différente, connectée à ce que certains appellent l’âme, d’autres tout simplement le cœur de l’homme.
A savoir ce lien simple, fraternel, sans apprêt qui vous rend proche de l’autre. Quelles que soient sa race, sa couleur ou sa croyance.
C’est dans ce mystère quasi de transsubstantiation que gît la beauté « Des hommes … ». Loin de toute mélodramatisation narrative ou de dispositif scénique tragique, Beauvois capte, comme le sage le fait du rayon de lune reflété dans un tesson de bouteille, les frémissements d’une foi qui se questionne. Et qui pourrait vaciller.
Unis par leur rituel liturgique et par leur attachement à un concept de tolérance qui les éloigne du prosélytisme des missionnaires, les moines seront aussi solidaires lorsque se posera la question de la mise à l’épreuve de leur engagement.
Mise à l’épreuve cruciale, « A matter of life and death » pour reprendre le titre d’un film, magnifique, de Pressburger et Powell, dont aucun ne sortira indemne.
Tout comme le spectateur ne sortira pas indemne de ce film dont la dernière « cène », portée par la musique bouleversante du « Lac des Cygnes » de Tchaïkovski (**), rappelle à chacun d’entre nous qu’il est des moments où les enjeux sont plus grands que soi.
Grandeur qui rend écho à celle du discours par lequel André Malraux accueille au Panthéon les cendres de Jean Moulin ou du refus de Mère Marie de l’Incarnation de renoncer à sa foi dans « Le dialogue des carmélites » scénarisé par Bernanos (***) et porté à l’écran par Philippe Agostini et Raymond Bruckberger.
Grandeur suffisamment palpable pour que les interprètes, tous magnifiques, aient eu envie de poser leur égoïsme d’acteur au profit d’une fraternité de jeu.
Dans lequel aucune tête ne dépasse même si le fait de savoir que l’intériorité profonde et altruiste avec laquelle Michael Lonsdale interprète le Père Luc doit vraisemblablement beaucoup à la foi du comédien, catholique convaincu.
Et si Tibéhirine, au fil du temps, devenait un lieu symbolique de contre culture. De résistance à une violence toujours à l’affût. De volonté de paix dans un monde déchiré par la haine et le fanatisme.
« Des hommes … » a obtenu le Grand Prix du Jury au festival de Cannes 2010. (mca)
(*) éditions Denoël
(**) bien choisir une bande son peut avoir une puissance émotionnelle redoutablement efficace. Les grands cinéastes le savent. De Kubrick - les « Atmosphères » de Ligeti dans le prologue de « 2001 a space odyssey » à Lars Von Trier - le « Laschia ch’io pinaga » de Haëndel dans « Antichrist » en passant par « La chevauchée des Walkyries » de Wagner dans l’ « Apocalypse now » de Coppola.
(***) d’après la nouvelle de Gertrude von le Fort « La dernière à l’échafaud ».