Sibel Kekill, Derya Alabora, Nursel Köse, Florian Likas
Si la seconde chance en peinture s’appelle le repentir, au cinéma elle s’appelle la projection d’un film dont on a raté la sortie (inattention, négligence, distraction, ras-le-bol devant un trop d’images ?) dans une de ces petites salles de cinéma, en l’occurrence l’Actor’s Studio, qui font de Bruxelles « the place to be ».
"Vivre là où le monde est bouleversant. Et où est-il bouleversant ? Ici, dans le coin mort" (Peter Handke)(*)
Une jeune femme germano-turque quitte, avec son jeune fils, Istambul et un mari violent pour se réfugier à Berlin auprès de ses parents. Par lesquels, elle sera rejetée au motif de jeter l’opprobre sur la famille.
Il y a dans ce film d’une jeune cinéaste qui a travaillé pour Amnesty International une fatalité et une tristesse sans consolation qui saisissent dès les premières images et mettent en charpie le cœur et les espoirs de ceux qui croient en un Monde d’où les tabous, codes ancestraux et notion surannée d’honneur à venger sont exclus.
La sincérité et le discret militantisme de cette œuvre qui choisit moins de critiquer que de souligner les aberrations d’une culture squattée par la religion sont portés par une superbe actrice, Sibel Kekilli révélée par Fatih Akin dans « Head on » en 2004.
« Die fremde » est une sorte de crépusculaire contrepoint, cadré avec une gravité - quasiment une austérité -très efficace, au film polyphonique de Burhan Qurbani « Shahada » sorti sur nos écrans ce 2 février 2011.
Autant celui-ci laisse la porte ouverte à un « choix de la voie » (celle des valeurs du pays d’origine ou du pays d’accueil), autant l’autre se centre sur le repli identitaire.
Sur les réflexes des expatriés qui n’arrivent pas à couper le cordon ombilical qui les lie avec leur communauté, même si celle-ci présente plus d’un point commun et effrayant avec les familles maffieuses – on baise, en signe de respect, la main du patriarche dont la décision est acceptée sans contestation, l’individu n’est rien face au groupe qui a sur lui droit de vie et de mort, on n’hésite pas à supprimer celui qui refuse de rentrer dans le rang.
Même si dès le début, on se doute que la fin du film sera implacable et inéluctable - immonde conclusion qui donne froid dans le dos quand on se rappelle qu’il n’y a pas longtemps chez nous une jeune fille musulmane été exécutée par les siens pour avoir refusé le mari qui lui était imposé - lorsque les moments omega et alpha se rejoignent, la nausée et le désespoir envahissent le spectateur.
Devant tant de haine, d’incompréhension et d’intolérance qui rendent malheureux autant les bourreaux que les victimes.
« Die fremde » n’est pas un film parfait. Il est mieux encore.
Il est un film touchant, sensible, qui incite à la réflexion et auquel quelques longueurs ou redondances apportent à cette dénonciation du sort réservé à la femme dans un milieu massacrée par un trop de préjugés misogynes (**) un supplément d’authenticité.
De véracité.
Car dans la vraie vie, les drames aussi se vivent maladresses et répétitions en bandoulière.
"Die fremde" a reçu le Grand Prix Cinéfemme 2011 et le Grand Prix Prix du meilleur film et le Prix du Public au festival de Gand 2010. (mca)
(*) « Kali. Une histoire d’avant-garde » aux éditions Gallimard.
(**) on pense plus d’une fois aux interpellants « Kadosh » d’Amos Gitai, « Left luggage » de Jeroen Krabben, « Le cercle » de Jafar Panahi ou encore « Chaos » de Colline Serreau, « La marquise d’O » d’Eric Rohmer, « Who’s that knocking at my door » de Martin Scorsese …