Coup de coeur
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Coup de coeurDIEU EXISTE, SON NOM EST PETRUNYA

Teona Strugar Mitevska

Zorica Nusheva, Labina Mitveska, Simeon Moni Damevski, Suad Begovski

100 min.
3 juillet 2019
DIEU EXISTE, SON NOM EST PETRUNYA

S’inspirant d’une histoire vraie, le film évoque une tradition orthodoxe, largement répandue en Macédoine, où chaque année, à l’occasion de l’épiphanie, un prêtre jette une croix dans l’eau glacée d’un fleuve ou un lac dans lequel se jettent des hommes pour tenter d’y récupérer l’objet sacré. Celui qui parvient à s’en emparer le premier est censé être béni et bénéficier d’une année de chance. Mais ce privilège est exclusivement réservé à la population mâle, qui se voit bouleversée et courroucée le jour où Petrunya décide elle aussi de se jeter à l’eau et qui, ô miracle, est la première à se saisir de la précieuse croix. Scandale, tollé général de la gente masculine qui l’accuse de vol et réclame son arrestation pour avoir attenté à cette prérogative masculine !

Film aussi attachant que jubilatoire, « God exists, Her name is Petruija » s’élève, non seulement contre un patriarcat millénaire étouffant mais il dénonce aussi avec un humour bienvenu la survivance et le poids écrasant de traditions moyenâgeuses matinées d’une religiosité phallocrate. Tournant abondamment en dérision les reliquats de rites ancestraux qui ont toujours cours en Macédoine mais qui s’avèrent pourtant être en complète contradiction avec les dispositions légales désormais d’application, le film soulève ainsi, à travers une subtile triangulation antithétique (opposant les pôles de la loi, de la tradition et de la religion), les paradoxes d’une société au sein de laquelle la primauté masculine s’acharne toujours à imposer sa loi sous le couvert de préceptes religieux faits homme.

Le côté plaisant du film tient également au caractère particulièrement attachant de son héroïne (incarnée par la magnifique Zorica Nusheva) ainsi qu’à l’évolution de sa personnalité. Au début du film, on y découvre une jeune femme rondouillette âgée de trente-deux ans, diplômée en histoire, qui accumule les échecs dans sa recherche d’emploi. Vivant sous la coupe d’une mère autoritaire qui ne cesse de la rabaisser et de la harceler pour qu’elle trouve un travail, Petrunya mène donc une vie qui est loin d’être paradisiaque. Pourtant, ses petits problèmes personnels semblent lui passer au-dessus de la tête. Subissant son sort sans trop broncher, elle ne paraît nullement titillée par l’envie de se rebeller ou de crier sa rage…jusqu’au jour où essuyant l’ultime humiliation qui fait déborder le vase, Petrunya décide de se jeter à l’eau. Le geste est aussi pulsionnel que symbolique puisque d’une part, il est commis sans préméditation ni intention particulière, et d’autre part, car il se révèle transformateur, engendrant ainsi une forme de divine renaissance. Se rendant compte de l’émoi qu’a suscité son acte, Petrunya jette alors par-dessus bord son indolence coutumière, se montre déterminée et combattive, recouvrant ainsi une confiance et une dignité qui lui faisaient jusque-là défaut. Mais cette nouvelle pugnacité dans le combat qu’elle mène pour se faire respecter, fissure aussi la carapace derrière laquelle elle s’était retranchée pour dissimuler une souffrance intériorisée des années durant. Et c’est peut-être là où le personnage de Petrunya est le plus touchant : à travers cette force tranquille, qui, progressivement, lui donne l’audace d’exprimer, au-delà des mots et peut-être bien plus dans son langage corporel, toute sa fragilité.

Christie Huysmans