la complicité de lieux magiques : Flagey, le Musée du Cinéma (bis), le Botanique
“Filmer à tout prix" ou le festival-miroir au titre merveilleux - www.fatp.be
"La caméra doit jouer un rôle de miroir, et non pas de "window" comme disent les anglais. Fenêtre ou miroir, c’est l’alternative. Moi, je dis qu’elle doit être un miroir : réflexion, réciprocité".Cette phrase de Raymond Depardon situe tout l’enjeu contemporain du cinéma documentaire, celui que l’on nomme aujourd’hui ‘le cinéma des réalités’.
Au cœur de l’envahissement constant et aveuglant des images, de leurs discours formatés, de leurs parcours tout tracés et souvent déconnectés de nos trajets personnels, ce cinéma des réalités n’est pas une simple fenêtre sur d’autres mondes possibles, passés ou présents, ici ou ailleurs, mais bien une série infinie de miroirs qui nous renvoient un reflet parfois à peine altéré de nos propres expériences, passées ou présentes, ici ou ailleurs.
Festival au titre merveilleux, initiative croisée de Serge Meurant, Massimo Iannetta et Pierre-Yves Vandeweerd, "Filmer à tout prix" nous permet de rencontrer cet autre monde du cinéma - celui où se forment d’autres discours, engendrés par la force d’une nécessité vitale de filmer, où s’articulent d’autres voix/voies foisonnantes, toutes différentes et présentant pourtant une forme d’universalité forcément troublante.
Aux quatre coins et recoins d’une programmation-fleuve (des compétitions nationales et internationales, aux séances particulières) et de ce cinéma du monde, se démultiplient les regards précis, l’implication émotionnelle des corps et de la matière.
Pluriels sont ces univers - par leur appartenance, leur diversité culturelle ou formelle - même s’ils témoignent pour la plupart d’un discours propre, engagé, l’affirmation sans cesse renouvelée d’un trajet hautement personnel et singulier.
De ces poignées de perles à découvrir, une sélection forcément arbitraire qui lierait les images de réalisateurs, établis ou débutants, filmant aux quatre coins du monde et du temps : les trois générations de femmes aux peaux si proches et aux conflits vibrants de Naomi Kawase (Tarachime), les corps fantomatiques, entre naissance et mort, de Bill Viola (The Passing), les images de Lituanie à la nostalgie obsédante de Jonas Mekas (Réminiscence d’un voyage en Lituanie), le visage concentré de Mania Akbari au volant de sa voiture (dans Ten d’Abbas Kiarostami), le visage serein et le crâne rasé de la même (dans Ten + 4), les discours engorgés d’émotion d’émigrés de tout territoires qui veulent être enterrés ‘chez eux’, filmés par la caméra sensible de Sonia Pastecchia (Campo Santo)...
Devant un tel programme, disséminé à partir du 17 Novembre dans les salles de Flagey, du Botanique et du Musée du cinéma (bis) (où Serge Meurant nous offre une carte blanche nourrie de toute l’intelligence de son regard cinéphilique), plusieurs nécessités : il faut “regarder à tout prix” pour faire honneur à ceux qui ont filmé, parfois au péril de leur raison et de leur vie.
Il faut ensuite se laisser ravir, voire submerger, par la curiosité face à ces mille et une pistes inconnues, allant où le vent et nos regards nous portent. Mais il faut surtout s’attendre à un trouble inégalé ; celui de se retrouver face au miroir de notre propre existence, au coeur de la réflexion et de la réciprocité, saisis dans notre chair par des discours qui articulent mieux que nos propres mots nos blessures et nos bonheurs profonds.
(Muriel Andrin, Université Libre de Bruxelles)