Film de guerre
2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s)

FLAGS OF OUR FATHERS

Clint eastwood (USA 2006 - distributeur : Warner Bros)

Ryan Philippe, Adam Beach, Jesse Bradford

122 min.
25 octobre 2006
FLAGS OF OUR FATHERS

L’étrangeté de la traduction française du titre original par « Mémoires de nos pères » se comprend et s’apprécie lorsque l’on sait que le film est tiré du beau livre que James Bradley a écrit pour comprendre pourquoi son père n’avait jamais évoqué ses combats sur l’île japonaise de Iwo Jiwa, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Avec « Flags of our fathers » on est bien loin du film de guerre triomphaliste et propagandiste dont le « Patton » de Schaffner demeure l’incroyable fleuron, puisque ici d’emblée les soldats ne sont pas présentés comme aimant se battre.

Ils ne sont que des pauvres bougres englués dans la terre cendreuse et caverneuse d’un îlot perdu au milieu du Pacifique, pensant avant tout à sauver leur peau et si possible à aider leurs copains à sauver la leur. Ils n’ont même pas, comme leurs compères temporels d’ « Indigènes » de Bouchareb l’impression de combattre pour un pays envers lequel ils ont une dette.

Malgré la réusite de ses scènes de combat qui font penser à celles de « Faut-il sauver le soldat Ryan ? » (*) le film n’est pas qu’un film de guerre. Il est et vaut surtout en tant que réflexion sur les conséquences d’un micro-évènement : le cliché, somme tout banal, pris par Joe Rosenthal, photographe de l’Associated Press, le 23 février 1945, de 6 hommes en train de hisser le drapeau américain sur le Mont Suribachi.

Cette réflexion, Eastwood la découpera en 3 volets, proches d’un tryptique dont les couleurs volontairement dessaturées tiennent à distance un excès de pathos et inscrivent le propos dans une démarche qui fait la part belle à la manipulation.

D’abord il s’intéresse à la tragédie personnelle de six jeunes gens dont les trois survivants porteront dès leur retour au pays et pour le reste de leur vie le poids d’un questionnement douloureux et culpabilisant : ne sont-ils pas des imposteurs et les vrais héros ne sont-ils pas ceux qui sont morts sur le terrain des combats ?

Ensuite il développe l’intéressante idée que l’Histoire est moins le reflet d’une réalité qu’un processus de construction dans l’après coup. Pour Pierre Miquel dans « Les mensonges de l’Histoire »(**), celle-ci impose de donner aux événements un sens, et que si elle faillit à ce faire, la légende est là pour prendre le relais d’une description qui comblera les manques ou les insatisfactions du réel. John Ford et son « The man who shot Liberty Valance » ne sont pas loin.

Enfin il rappelle la puissance instrumentalisante d’une photo lorsque des politiciens démagogues et racistes s’en emparent pour soutenir une campagne de vente d’emprunts d’Etat destinés à financer la guerre.

La mise en scène d’Eastwood, même si elle n’évite pas certains « clichés » pontifiants et sentimentaux, se caractérise par une fluidité pragmatique qui lui permet de situer son film à plusieurs époques différentes (comme dans « Bird ») et par une gravité responsable qui, alliée au désir de donner la parole à l’ennemi japonais de l’époque, l’a incité à proposer une perception des mêmes combats vus du côté nippon dans un film qui sortira chez nous début 2007 « Letters from Iwo Jiwa » (m.c.a)

 
(*) de Spielberg qui se trouve être le producteur de « Flags…"

(**) Editions Perrin 2002