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Goodbye Julia

Mohamed Kordofani

Ger Duany, Siran Riak, Nazar Goma, Eiman Yousif, Issraa El-Kogali

120 min.
12 juin 2024
Goodbye Julia

S’il était encore nécessaire de démontrer combien le cinéma est indispensable pour témoigner de l’humanité, ce film en serait un parfait exemple. D’autant qu’il nous dépeint une société rarement mise à l’écran, celle du Soudan et plus précisément entre les années 2005 et 2011, période qui amènera la scission du pays en deux parties, au Nord les riches musulmans ayant une frontière commune avec l’Égypte et un littoral avec la Mer Rouge, au Sud les pauvres chrétiens, traités comme des esclaves, enclavés entre l’Éthiopie, la République centrafricaine le Congo et le Kenya. Toute l’action du film se déroule à Khartoum dans un climat d’apartheid pesant qui n’est pas sans rappeler ce que fut la partition de l’Inde et du Pakistan, les luttes irlandaises, celles de Palestine et tant d’autres hélas, qui prennent racines dans la folie des croyances religieuses délétères.
Un tel film est un vibrant appel à la laïcité, mais jamais ce concept n’est évoqué, comme s’il était inconcevable en ce pays.
Nous allons suivre les destins mêlés de deux femmes, jeunes, superbes, l’une, Mona, mariée à un musulman, religieux rigoriste, un couple qui espère un enfant mais n’arrive pas à le concevoir, et l’autre femme, Julia mère d’un gamin que l’on verra grandir durant ces 6 années.
Il ne faut rien dire de leurs histoires car elles sont complexes, émouvantes et leur découverte au fil du récit est d’une grande originalité.
Le traitement cinématographique est d’une sobriété parfaitement en adéquation : des plans moyens, permettant de voir l’ensemble de l’action, sans gros plans tapageurs ni effet de montage, les champs/contre champs permettent de bien contempler les visages par lesquels passent toutes les émotions, les frustrations, les colères retenues. Et tant d’angoisses.
Ce style d’écriture visuelle semble vouloir faire oublier le cinéma pour montrer simplement la vie. Mais avec une intensité constante. Et une photographie chaude, chaleureuse, qui nous montre une beauté sans cesse présente, dans les décors, les costumes, les accessoires, les lieux filmés. Cette beauté tranche avec la culpabilité de ces deux femmes foudroyées de chagrin, dont les remords rendent tous dépassements de leurs drames impensables. Ce que le spectateur sait, mais que les deux protagonistes ignorent encore, nous fait éprouver une immense compassion vis-à-vis de l’une et de l’autre, confrontées à la brutalité de l’autodéfense et au racisme comme vérité révélée.
Le Mouvement populaire de libération du Soudan est évoqué de façon allusive mais fait bien comprendre que nous sommes dans un moment de rupture, tant politique que personnelle dans la vie de celles et ceux dont nous suivons le cheminement qui nous amène des informations, et accentue le poids des frustrations, des chagrins et des secrets.
Ce film a une dimension véritablement philosophique qui nous interroge sur l’oubli, le pardon, le secret et le mensonge qui ne peut être jugé qu’à l’aulne de ce qui a motivé d’y recourir.
Ce premier film d’un ingénieur ayant travaillé dans l’aéronautique nous interroge profondément et nous émeut sur nos valeurs et notre condition humaine.

Francis de Laveleye fidéle ami de CineFemme