Mirjana Karanovic, Luna Mijovic
Quel est le poids d’un secret ? Pèse-t-il plus lourd que l’amour entre une mère et sa fille ?
Ce film grave et beau ose fictionner sur un sujet, dont l’universalité n’émoussera jamais l’horreur : les tortures infligées aux femmes en temps de guerre.
Moins explicitement visuel que « La Ciociara » de Vittorio de Sica, plus proche de « The secret words of life » d’Isabel Coixet qui donne à voir le sort réservé aux femmes par le discours tenu par l’héroïne, « Grabvica » touche par une sincérité d’écriture et une narration limpide dans les silences de laquelle se glissent émotion, colère, sentiment d’impunité et apaisement.
Esma élève, seule, sa fille de 12 ans Sara dans le quartier de Grbavica. Toutes deux tentent de survivre dans le Sarajevo de l’après-guerre, l’une en courant les petits boulots (ouvrière la journée, barmaid le soir), l’autre en puisant consolation dans la fable qui lui est racontée que son père serait un héros, mort en défendant la nation contre l’armée serbo-monténégrine.
Les frictions croissent entre les deux femmes, nouées autour d’un passé tu mais soupçonné : la naissance de Sara est le résultat d’un viol collectif.
« Grabvica » relève à la fois du témoignage historique et du scénario cinématographique, les deux faisant plutôt bon ménage parce qu’ils nous rappelent quelque chose d’important : la vérité seule libère et peut réactiver une affection usée par le mensonge, même si celui-ci n’a d’autre objet que d’éviter une souffrance.
L’habileté de la cinéaste est d’avoir su créer un parallèle entre une ville déchirée entre ruines et reconstruction et une relation mère/fille marquée par la césure du secret qui les éloigne l’une de l’autre. Son humanité ne sera pas celle d’Emmanuelle Riva qui opte, dans « Hiroshima, mon amour » (*), pour une détestation de aa ville, Nevers, associée, en son souvenir, à la haine et à l’humiliation, mais de proposer un regard de réconciliation entre le passé et le présent pour mieux vivre l’avenir.
Jasmila Zbanic, dont c’est le premier film, a dû se débrouiller pour mener à bien la réalisation - la Bosnie ne disposant ni de caméra 35mm ni de laboratoires de cinéma. La modestie de ses moyens techniques n’a pourtant pas découragé Mirjana Karanovic, interprète habituelle d’Emir Kusturica, d’incarner, avec nuances et sensibilité, une mère bosniaque (alors qu’elle est serbe) et Luna Mijovic de colorer, d’une juvénilité tonique et rebelle, son rôle d’adolescente.
Ode à l’amour maternel, à la capacité rédemptrice du pardon, « Grabvica » est un magnifique rappel que la vie peut être plus forte que le malheur.
Le film a été interdit en Serbie et dans la république serbe de Bosnie. Aller le voir est un acte de soutien à la décision qui a été prise, lors de sa sortie, d’accorder aux vingt mille femmes bosniaques violées pendant la guerre le statut de victimes civiles. Il a, comme « Indigènes » de Bouchareb ce courage tranquille d’attirer l’attention sur la nécessité pour chacun de ne pas oublier les destins individuels qui ont été bouleversés par le feu de l’Histoire. (m.c.a)
(*) le titre ce ce film de Resnais/Duras est proche de la traduction française de Grabvica "Sarajevo, mon amour".