Isabelle Huppert, Kris Kristoffersson, Christopher Walken, John Hurt, Mickey Rourke
Gone with the Wyoming ou encore comment passer du flop au hit. De l’échec commercial au film culte.
En effet quand le film sort en 1980, il est fraîchement reçu tant par les critiques que par le public. Traînant même la réputation d’avoir ruiné la légendaire maison de production "United Artists" créée par Charlie Chaplin.
Les opinions ont depuis lors bien évolué, attribuant cet échec cuisant - moins de deux semaines de sortie aux USA - au procès idéologique que le cinéaste intentait, avec ce film, à une Amérique campée sur ses certitudes d’hypocrite bienséance.
S’il y a quelque chose de viscontien dans « Heaven’s gate », s’il y a quelque chose de saint simonien chez Visconti, alors il y a quelque chose de saint simonien dans « La porte du Paradis ».
Une forme de témoignage sur un épisode de l’histoire des USA que beaucoup préfèrent laisser dans l’oubli, à défaut de pouvoir l’insérer dans l’Histoire d’un Ouest conquis sans peur et sans reproche.
Légende dorée déjà mise à mal, 10 ans plus tôt par Arthur Penn dans « Little big man » dans lequel des racistes réactionnaires à la solde du gouvernement massacrent une tribu indienne - massacre qui était un écho à celui de My Lai où durant la guerre du Vietnam des civils furent abattus comme des chiens par des soldats US.
Légende qui reçoit un nouveau coup, fatal celui-là, asséné par Michael Cimino qui, en frappant là où ça fait mal - les interprétations captieuses des Lois - dénonce les motivations qui ont justifié, dans le comté de Johnson/Wyoming en 1890, la violente opposition entre les éleveurs / propriétaires terriens et les immigrés (*) qui souhaitaient, eux aussi, participer à l’édification de la nation américaine.
Motivations que l’on retrouve encore de nos jours dans toutes les guerres et qui font souvent de celles-ci des tentatives de liquidations pures et simples : racisme, sens aigu de la notion de territoire (le fil barbelé venait d’être inventé), sentiment d’impunité et d’être dans son droit, radicale volonté de ne pas partager les richesses.
Sans oublier bien sûr cette violence inhérente à la nature humaine qui fait qu’il ne faut jamais insister très longtemps pour pousser quelqu’un, agresseur ou agressé, à dégainer.
Peu importe si la narration est parfois trouée ou si la psychologie des personnages pèche par un usage redondant de la lime à simplifier - depuis que la sériephilie essaye de supplanter la cinéphilie on a vu pire - reste de « Heaven’s gate » la magnificence de ce qui fait l’essence même du 7ème art : le visuel.
Un visuel fait d’images, de plans, de séquences, de scènes, d’acteurs inoubliables et toujours utilisés de façon à donner sens à un point de vue.
Ainsi l’opposition entre des paysages le plus souvent filmés en plans larges et des êtres humains captés au plus près des corps est là pour souligner à la fois la beauté pérenne et harmonieuse des premiers et la cruauté toujours présente et potentiellement menaçante des seconds.
Les couleurs dont la gamme rappelle celle de la palette d’un Cézanne lorsqu’il essayait de « rendre l’odeur bleue des pins » sont exceptionnalisées par une lumière que le chef opérateur Vilmos Zsigmond a su capter dans toute sa multiplicité tonale : diaprée, floue ou cinglante, transparente, ensoleillée, enneigée, irisée ou sanglante …
Toutes ces techniques formelles qui donnent le frisson par leur intensité et leur fond de mélancolie sont encore amplifiées par une bande musicale, due à David Mansfield, dont la force tient à la fois du romantique et de l’épique.
Elle rappelle, à elle seule, combien les Etats Unis sont une mosaïque de diverses cultures et de sensibilités et combien quand elle sonne juste et belle elle peut emmener celui qui l’écoute dans un Monde intérieur.
Celui dont les fresques lyriques ont besoin pour s’y développer au plus secret et au plus chaud du rapport magique qui se noue entre un cinéaste et un spectateur.
Lorsque l’un propose sa vision des choses et que l’autre accepte d’y entrer. Comme il accepterait d’entrer, en confiance, dans un cercle (**) dont la magie est ne pas enfermer mais de pouvoir s’étendre à l’infini.
Et si l’on appelait cela une rencontre qui part des yeux pour flécher le coeur, mobiliser les sens et convaincre l’esprit ? (mca)
(*) en provenance de l’Europe de l’Est, lointains ascendants des héros de l’autre film anthologique de Cimino « Deer hunter »
(**) beaucoup a été dit et écrit sur l’importance du cercle dans la mise en scène de Michael Cimino. Pour ceux que cela intéresse, une très intéressante étude sur le sujet est proposée par « Cadrage » la première revue en ligne universitaire de cinéma – www.cadrage.net