Elio Germano, Pietro Traldi, Orietta Notari, Andrea Gherpilli
C’est avec une extraordinaire sensibilité humaine et esthétique que le réalisateur italien Giorgio Diritti nous introduit dans la vie, l’espace mental et l’univers artistique du peintre et sculpteur naïf Antonio Ligabue, formidablement incarné par Elio Germano, couronné de l’Ours d’Argent du meilleur acteur à la 70ème Berlinale. Une récompense incontestablement méritée.
« Hidden Away » nous plonge d’emblée dans les méandres biographiques et psychologiques de son héros, alors interné. Dissimulé sous une couverture, Antonio Ligabue scrute d’un œil apeuré le cabinet médical où il a été emmené. Une caméra subjective immerge le spectateur dans le regard de l’artiste ainsi que dans le labyrinthe chaotique et elliptique de sa mémoire. La mémoire traumatisée d’un enfant orphelin, différent des autres, placé dans une famille d’accueil en Suisse, et qui, adolescent, exprimera sa souffrance par des explosions de violence. La mémoire aussi d’un homme qui, pour être considéré comme immoral et incontrôlable, fut expulsé de Suisse et renvoyé vers l’Italie, pays d’origine de ses parents mais dont il ne maîtrisait nullement la langue.
Antonio Ligabue portait-il en lui dès la naissance une maladie mentale ou sont-ce les traumatismes de sa plus tendre enfance qui ont concouru à faire de lui un être hors norme, doté d’un génie artistique aussi extravaguant qu’enfantin ? Nul ne pourrait le dire avec certitude mais il est par contre indéniable que l’énergie créative qui habitait l’artiste soit parvenue à transcender une enfance marquée par l’abandon et à préserver l’enfance de l’art, laquelle mélange allègrement les couleurs de l’imaginaire à celles de la réalité.
« il faut porter un chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse », écrivait Nietzsche, et l’on pourrait dire que Giorgio Diritti nous le démontre avec une immense tendresse en dressant le portrait d’un homme profondément attachant et d’un artiste qui, en dépit de ses démons intérieurs et après avoir vécu comme un « sauvage » dans les bois, trouva néanmoins sa place au sein de la communauté, grâce au soutien de quelques âmes bienveillantes, dont celle du sculpteur Renato Marino Mazzacurati.
Si, comme nous l’avons souligné plus haut, la performance d’Elio Germano est absolument époustouflante tant il semble avoir été investi par l’esprit de cette homme fantasque qui, pour peindre ses animaux aux fulgurantes couleurs s’identifiait totalement à eux en imitant leurs mouvements et leurs cris, remarquons aussi l’impressionnante qualité de la photographie de Matteo Cocco, qui d’une main de maître, est parvenu à faire écho à la flamboyance picturale et émotionnelle d’Antonio Ligabue et à immerger le spectateur dans les paysages que l’artiste a habité autant que ceux qui ont habité et inspiré son imaginaire.
Enfin soulignons que si Antonio Ligabue a connu quelque succès de son vivant et qu’en Italie, ses œuvres sont loin d’être méconnues, sa renommée internationale demeure quant à elle relativement limitée. L’on peut donc se réjouir que Giorgio Diritti contribue à l’amplifier davantage, et qu’il réalise la prophétie de l’artiste, lequel était persuadé qu’un jour ou l’autre, on ferait un film sur lui [1] !
Christie Huysmans
[1] Notons qu’au début des années 60, le journaliste et réalisateur Raffaele Andreassi a réalisé un documentaire sur l’artiste. Documentaire auquel il est d’ailleurs fait référence dans le film.