Elke Aberle, Vitus Zeplichal
Ils se comptent sur les doigts d’une seule main les cinéastes qui, dans les années 1970, ont su allier un exceptionnelle maîtrise technique à une créativité narrative traquant sous toutes ses formes la misère affective.
Créativité brute, chevillée à un réel réinventé avec une franchise surprenante qui ne laisse place à aucune illusion et encore moins à tout hypothétique happy end.
Un réel fait de tourments, de déchirements, d’incapacités à s’adapter à cette société allemande d’après-guerre lancée, pour oublier ?, à corps perdu dans une compulsion consumériste présentée à la fois comme la cause et la conséquence du miracle allemand.
« Ic will … » est un film réalisé pour la télévision (la W.D.R) en 1976. Il était jusqu’à présent inédit sur grand écran.
Bien éloigné des paramètres consensuels et formatés requis par les productions destinées au petit écran - pouvait-on s’étonner qu’après avoir collaboré au concept d’ "antiteater", Fassbinder développe celui d’ "antiTV" ? – « Je veux … » cerne et dessine, à l’aide d’une esthétique minimalisme (gros plans, contre-plongées, couleurs froides ...), un malaise.
Celui d’un ouvrier surendetté dont la folie émerge peu à peu pour éclater avec une rage que rien ne pourra contenir.
Tout concourt pour faire de cette histoire un drame qui mêle fêlure personnelle et prises de conscience historique et sociale : interprétation dense et simple, finesse de l’étude psychologique (*), enfermement des situations dans des plans serrés - chez Fassbinder le plan large et libérateur de tension n’existe presque pas - mise à nu du ressort mélodramatique afin de plus authentiquement faire ressortir la sensibilité toujours à vif des personnages.
Sensibilité qui est chez le cinéaste un moteur et un investissement par lesquels il touche le spectateur qui accepte de ne pas être ménagé, puérilisé dans une vision « hollywoodienne » du Monde.
Chez Fassbinder les personnages échappent rarement au mal être engendré par les non-dits de la génération précédente, celle qui a vécu la nazisme.
Chez Chantal Akerman, les silences recouvrent des paroles de rescapés juifs qui eux aussi ont choisi de se taire.
C’est une bonne idée d’avoir présenté quasi simultanément, dans le cadre de l’Ecran Total, un film (**) de chacun de ces rescapés d’une même tragédie.
Synchronicité qui donne du 7ème art une image de belle et puissante cohérence.
Une cohérence qui interpelle, pousse à réfléchir et donne l’envie de revoir le documentaire consacré au cinéaste par Hans Günter Pflaum, "Ich will nicht nur dass ihr mich liebt - Je ne veux pas seulement que vous m’aimiez - il est en bonus sur le DVD édité par Cinéart "Le droit du plus fort". (mca)
(*) le film est inspiré d’une vignette clinique
(**) « Je, tu, il, elle » de Chantal Akerman a été chroniqué sur ce site.