Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Cécile De France, Xavier Dolan, Salomé Dewaels, Jeanne Balibar
Lucien est un jeune poète inconnu dans la France du XIXème siècle. Il a de grandes espérances et veut se forger un destin. Il quitte l’imprimerie familiale de sa province natale pour tenter sa chance à Paris, au bras de sa protectrice. Bientôt livré à lui-même dans la ville fabuleuse, le jeune homme va découvrir les coulisses d’un monde voué à la loi du profit et des faux-semblants. Une comédie humaine où tout s’achète et se vend, la littérature comme la presse, la politique comme les sentiments, les réputations comme les âmes. Il va aimer, il va souffrir, et survivre à ses illusions.
Une orfèvrerie cataclysmique
La demi-mesure n’a pas sa place dans cette fable maudite et endiablée, adaptée du roman éponyme d’Honoré de Balzac. De la finesse des costumes à la re-création de Paris sous la Restauration, Xavier Gianolli confectionne un univers de décadence grandiose.
Benjamin Voisin, qui brillait déjà dans Eté 85 de François Ozon, offre un portait tout en complexité du jeune écrivain. Entre candeur et arrogance, crédulité et arrivisme, le poète navigue cette société d’apparats à bord du Corsaire, revue cinglante où tout se déchire, s’encense, mais surtout : s’achète.
Au contact d’Etienne Lousteau, campé par un Vincent Lacoste jouissif dans son rôle de journaliste épicurien, ils vont à eux deux participer à la naissance de cette presse vénale et désabusée. Emporté dans cette frénésie par sa soif de reconnaissance, l’écrivain autrefois inspiré va se muer en redoutable carriériste.
Une palette féminine
L’adaptation d’une œuvre de plusieurs siècles est toujours source d’appréhension quant aux stéréotypes dans lesquels on craint de voir les personnages féminins cantonnés. La mégère emplie d’amertume, la comtesse ridicule, la creuse ingénue… Autant de clichés que Gianolli a balayé, pour peindre une fresque féminine étayée et sensible.
Si le pouvoir littéraire est accaparé par les hommes dans ce récit, il serait bien naïf d’imaginer les personnages féminins confinés à l’arrière-scène. Dans cette arène dorée, les héroïnes se battent avec leurs propres armes pour défendre leurs destins aux enjeux complexes.
Que ce soit dans l’hésitation de Cécile De France entre honorer son amour ou son rang, dans la détermination de Jeanne Balibar à cimenter l’ordre social, ou encore dans la résilience de Salomé Dewaels, la profondeur de ces femmes est filée tout au long du film.
Intemporel, et non moderne
Nombreuses sont les critiques qui louent la modernité du film et de son propos. Il est vrai que la presse d’influence née sous la Restauration a depuis évolué en un modèle économique périn qui a largement dépassé les frontières poreuses du milieu médiatique. En ce sens, Illusions Perdues offre un prisme contemporain sur une œuvre historique.
Cependant, il s’agit là bien des limites de la supposés modernité de cette œuvre. On regrette une mise en scène, certes maîtrisée, mais convenue et dénuée de véritable choix. Mais surtout, on déplorera une voix-off superflue.
Si la narration audio peut parfaire un film, comme c’est le cas dans Ad Astra de James Gray où elle prend la forme d’un journal de bord, une adaptation littéraire peut largement s’en affranchir. C’est précisément le cas pour Illusions Perdues, dont le narrateur omniscient (voire capable de prédire l’avenir) ponctue les scènes de commentaires évidents. Si l’effet escompté est évidemment l’étoffement du propos, on tombe malheureusement dans une sur-explication alourdissante qui détonne avec la finesse du jeu des comédiens.
L’œuvre de Balzac, ou devrais-je écrire : les œuvres de Balzac et Gianolli, excitent autant qu’elles tourmentent. En finissant ce film, on a tout de même le plaisir doux-amer de se rappeler qu’Icare a bien volé, avant de s’écraser.
(Dounia)