Lika Babluani, Mariam Bokeria, Zurab Gogaladze, Data Zakareishvili, Ana Nijaradze
1992. Tbilissi, capitale de la Georgie. Eka et Natia ont quatorze ans et tâchent de vivre le plus normalement possible au cœur d’un pays dévasté par les affres d’une guerre d’indépendance, qui a contribué à l’effondrement de la toute puissante Union Soviétique. La Georgie a certes recouvré sa liberté mais les tensions internes demeurent : dans les files de rationnement, on se bat pour une miche de pain, et en Abkhazie, des bastions indépendantistes combattent toujours. « Chaque Georgien devrait être armé », décrète un commentateur à la radio.
La ville suinte la désolation, pourtant c’est la Beauté qui prime. Beauté adolescente de deux amies inséparables qui, comme toutes les filles de leur âge, doivent batailler pour vivre simplement en paix. Et à travers elles, dans ces yeux qui disent tout dans le silence d’un regard, la Beauté d’une Georgie meurtrie mais dont l’âme rayonne toujours. Qu’elles soient nimbées de lumière ou détrempées par une pluie torrentielle, qu’elles rient ou qu’elles pleurent, Eka et Natia nous font l’offrande de la grâce dans ce qu’elle a de transcendant et qui dépasse les normes canoniques de l’esthétique. Sublimées par une photographie aux couleurs vintage, ces deux jeunes filles incarnent avec une fulgurante authenticité la féminité adolescente dans ce qu’elle a de plus contrasté et de plus ambivalent : naïveté et gravité, force et légèreté, frivolité et courage. Ce flottement d’humeur et de sentiment oscille, selon les moments du film, entre gaieté triste et mélancolie joyeuse telles que l’on les retrouve fréquemment chez Emir Kusturica : les lèvres esquissent un sourire mais le regard est empreint de nostalgie, la musique est enjouée mais la danse s’effectue avec solennité.
Mais si Beauté rime avec Paix et Bonté, ces trois archanges de l’humanité sont sans cesse menacées, et pour Eka et Natia, il s’agira de lutter. Lutter pour vivre en paix dans la rue, en paix avec les garçons de leur âge et en paix avec les membres de leur famille. Dans cette perspective, In Bloom est traité à l’image de ces poupées russes qui sont imbriquées les unes dans les autres : partant de deux adolescentes, on découvre un cercle familial, un entourage amical, un environnement social, une ville et une nation.
Sans faire preuve de féminisme, In Bloom ne fait guère la part belle aux hommes : lorsqu’ils ne sont pas alcooliques ou en prison, ces derniers se montrent lâches ou violents. Le seul, ou presque, qui sauve la face, a l’idée d’offrir un revolver à Eka afin qu’elle puisse se défendre en cas de menace. De là naîtra l’une des grandes tensions du film.
In Bloom est résolument féminin tant dans le traitement de son sujet que dans les voix qui le portent. En atteste également son esthétique remarquable qui rend certaines scènes vibrantes d’émotion.
( Christie Huysmans )