Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin, Rémy Girard, Maxim Gaudette
Comment quand on aime que les choses soient murmurées plutôt qu’assénées être sensible à « Incendies » ?
Etait-il nécessaire de surcharger fictionnellement un destin en soi déjà riche en péripéties dramatiques, celui de Souha Béchara (*) qui a inspiré le dramaturge canadien d’origine libanaise Wajdi Mouawad dont la pièce « Incendies » a été adaptée pour le grand écran par Denis Villeneuve, au nom d’un message aussi généreux soit-il : rompre avec le cycle de la vengeance qui fait de la victime un futur bourreau ?
Message que d’autres cinéastes - le tachdien Mahamat-Saleh haroun avec "Daratt", Amos Gitai dans le sublime prologue de "Free Zone" - ont exprimé avec plus de retenue de fond et de forme et autant de puissance émotionnelle.
Après la mort de Nawal Marwan (en réalité Souha Béchara), ses enfants, pour respecter la volonté de leur mère, partent au Moyen-Orient (le Liban n’est jamais nomément cité) en-quête de leur père et du frère dont ils ignoraient l’existence. Ils en reviendront changés à jamais. Transformés par ce qu’ils ont appris sur la jeunesse militante et engagée de leur ascendante.
« Incendies » est un incessant aller-retour entre le passé et aujourd’hui, entre les silences d’une génération et les envies d’une autre de les briser pour savoir ce qui s’est passé.
Pour comprendre et détricoter les écheveaux d’un « fatum » qui doit beaucoup (trop ?) à la mythologie grecque - le couple Jocaste/Œdipe, la marque au talon (d’Achille) comme signe à la fois de reconnaissance et de perte, la force secrète du lien gemellaire (Castor et Pollux).
Il est dommage que les renvois à cette mythologie plutôt que d’universaliser un propos l’affadissent en l’enserrant au cœur d’un (mélo)drame qui ne réussit pas, en raison d’un scénario qui laisse à l’artillerie lourde du pathos trop de place, à devenir tragédie.
Bien que le film soit porté par une actrice formidable, Lubna Azabal dont le jeu intense et contenu évoque par étincelles celui de Hiam Abbas,
Bien qu’il fasse siens des thèmes profondément humains - comment survivre à l’horreur et à la honte, comment porter le poids d’une vérité que l’on découvre , comment affronter l’exil,
Bien qu’il aborde la question délicate du pardon, il peine à (me) convaincre.
Parce que si le réalisateur réussit à entremêler comme dans « Maëlstrom » des intrigues fragmentées dans des espaces temps différents, il emmêle lourdement les pinceaux des sentiments en introduisant un doute quant à la crédibilité chronologique des rencontres entre Marwal et son tortionnaire et en surlignant ce qui aurait gagné à être suggéré.
Ainsi le regard caméra d’un jeune garçon qui se fait enrôler comme soldat par l’ennemi sur fond sonore de "You and whose army" de Radiohead relève d’une gratuité que Rivette aurait qualifiée d’obscène (**) et qui n’est qu’exemplative d’une tendance de Villeneuve à transformer l’essentiel en performance et l’intime en spectaculaire.
Le parti pris du réalisateur plus axé sur l’efficacité que sur la profondeur déroutera ceux pour qui le cinéma ce n’est pas uniquement ressentir mais aussi réfléchir.
Réfléchir une situation sans avoir l’impression d’être mené là où le metteur en scène veut nous mener : au pays d’une émotion facile. « Maestrisé » plutôt que maîtrisée.
"Incendies" a obtenu le prix du Public au Festival International du Film Francophone 2010. (mca)
(*) Souha Béchara est née en 1967 à Beyrouth dans une famille chrétienne orthodoxe. Jeune étudiante active au sein de différents fronts de résistance libanaise, elle est arrêtée en 1987. Enfermée et torturée dans la prison de Khiam après avoir tenté d’assassiner le Général Lahal de l’armée du Sud Liban, elle est relâchée en 1997.
(**) Ce qu’il a fait pour le dernier plan du "Kapo" de Gilles Pontecorvo.