Chronique sentimentale
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

J’ATTENDS QUELQU’UN

Jérôme Bonnell (France 2007 - distributeur : Victory Films)

Emmanuelle Devos, Jean-Pierre Darroussin, Sylvain Dieuaide, Florence Loiret

96 min.
21 mars 2007
J'ATTENDS QUELQU'UN

Jérôme Bonnell utilise la caméra avec un doigté particulier fait d’effacement devant un quotidien omniprésent et d’empathie pour ses personnages. Arrivant à donner de ceux-ci l’impression qu’ils vivent leur vie en dehors de tout parti pris scénaristique préétabli.

Défenseur d’un cinéma sans artifice (*), il colore ses histoires d’une humanité et d’une sollicitude qui réduisent, autant que faire se peut, la distance entre le réel et sa représentation sur la pellicule. Il est de ceux qui laissent au spectateur, dans cet intervalle aussi infime soit-il, une place à prendre : celle de leur imagination.

Des hommes et des femmes se croisent, se parlent, se désirent, s’aiment dans une petite ville de province. Ils se regardent plus qu’ils ne s’analysent, et cette proximité attentive les rend sensibles à ce qui n’est pas dit.

Stéphane revient au pays pour tenter de faire la paix avec son passé, Louis voit régulièrement une prostituée sans (s’) avouer qu’il en est peut-être épris, Agnès essaye d’éveiller son époux à plus de passion. Tous les trois savent qu’ils risquent de passer à côté de leur vie s’ils continuent à maintenir entre elle et eux cette distance qui les empêche de donner chair à leurs sentiments.

Les moments de solitude des héros, ceux de leur intimité charnelle et les décalages dans les sentiments qu’ils révèlent, sont saisis avec une finesse qui donne au travail de Bonnell la complexité et la fragilité de celui d’un dentellier.

Le ton du film est d’une étrange douceur rendue à merveille par les voix des comédiens. Voix posées et modestes, voix drôles et émouvantes, elles inscrivent « J’attends.. » dans une maturité déjà appréciée dans le « Entre adultes » de Stéphane Brizé.

Les acteurs sont présents à ce qu’ils font. Jamais à-côté, jamais dans le trop ou le pas assez, ils donnent au film sa justesse à mi-chemin de celle de Pialat (le refus de l’émotion) et de Sautet (la fluidité relationnelle), sa musique plus proche du clavecin que du synthétiseur.

Jean-Pierre Darroussin donne envie que soit créé, rien que pour lui, un nouveau César. Celui du meilleur représentant masculin de la beauté dans ce qu’elle a d’émouvant, de sincère, bien loin des canons d’Hollywood ou de Biotherm.

Sylvain Dieuaide - doit-il vraiment à une intervention divine son talent ? - fait partie de ces jeunes acteurs (on pense à Johan Libéreau, remarquable dans « Les témoins » d’André Téchiné) qui renouvellent par leur façon d’être, à la fois instinctive et réfléchie, une certaine école de jeu française.

« J’attends … » est le film qu’on attendait. Généreux, mélancolique, il ressemble par les moments infimes et tendres qu’il capte à une succession d’instantanés à la Doisneau. Il ne fait pas l’impasse sur de graves questions, concernant notamment la paternité, mais refuse de s’enliser dans une écriture explicative. Il filme les gens à hauteur de leur routine, leur conférant ainsi une authenticité étonnante.

Il suggère même que la lecture de Flaubert, « L’éducation sentimentale » pourrait aider à mieux comprendre les harmonies et les disharmonies dont sont tissées nos relations à autrui. Ce qui ajoute à l’humanité du propos un cachet d’élégance bien séduisant. (m.c.a)

(*) "Le chignon d’Olga", "Les yeux clairs"