Claire Wauthion, Chantal Akerman, Niels Arestrup
(Re)voir un film de Chantal Akerman c’est frotter la lampe d’Aladin, celle qui permet à un génie d’en jaillir à chaque fois.
Ce génie qui fait du cinéma l’art du regard et de son complice naturel, la caméra quand on sait où et comment la placer.
Dans ces conditions, filmer devient une discipline dont les maîtres mots, exigence et sensibilité, font reculer les frontières de la connaissance du réel et de la place que l’on occupe dans et par rapport à celui-ci.
Encore une fois dans cette histoire d’un itinéraire sentimental et désemparé découpé en 4 parties comme l’indique les pronoms personnels du titre, Akerman fascine par sa façon de travailler qui semble à la fois contrôler au plus près ce qui se passe et accepter en même temps de laisser les choses se faire.
Trouver leur place afin de permettre au temps - dont l’écoulement obsessionnel et répétitif a fait de la vie de "Jeanne Dielman 33 quai du Commerce" une tragédie du quotidien et un film culte - de se nicher dans des plans fixes qui, du fait d’être serrés, tirent une insoupçonnée force émotionnelle des situations même les plus triviales.
Des situations et des rapports y compris ceux que la réalisatrice-scénariste-actrice-narratrice de « Je, tu … » tisse avec elle-même.
Situations et rapports dont elle traque la vérité. Non pas une vérité absolue mais une vérité existentielle. Qui ne vaut que pour celui qui la vit dans sa chair.
Dans ce corps que Chantal Akerman capte dans toute sa beauté et sa vulnérabilité comme si sa seule raison était d’être un tabernacle destiné à recevoir le souffle qui, par sa vitalité narcissique ou amoureuse, va l’animer.
L’importance du cadre, toujours limpide presque géométrique, est accompagné et valorisé par le choix de faire du silence l’outil qui arrachera des images dans lesquelles il s’engouffre une palpable source d’émotions.
Faite de grâce, d’audacieuse pudeur ( ses scènes d’amours homosexuelles ont été à l’époque jugées révolutionnaires ) et d’insondable tristesse.
Chantal Akerman avait à peine 25 ans quand elle a tourné en noir et blanc (*), en 8 jours avec de la pellicule volée, ce film insolite et grave qu’elle qualifie elle-même de « cri de désespoir muet proche du hurlement ».
Il a maintenant plus de 36 ans et continue à frapper ceux qui le regardent par la frontalité avec laquelle il convoque le spectateur à s’y plonger.
Ce qu’il fait sans doute dérouté dans un premier temps mais avec de plus en plus d’intérêt au fil de l’expérience dont il est témoin.
Expérience qui lui rappelle in fine que l’essence même du cinéma n’est pas la vérité mais sa représentation à l’édification de laquelle par sa présence il donne une légitimité.
Pour ceux qui auraient raté la semaine de projection à l’Arenberg, qu’ils se consolent. Le film est sorti en coffret DVD "Cinéart" (**). (mca)
(*) couleurs dont la magie est sans doute le fruit des heures passées, durant son séjour à New York, à visionner à l’Anthology Film Archives les films de Jonas Mekas et Michael Snow ou à découvrir dans les galeries les photos de Robert Mappelthorpe.
(**) avec "Hotel Monterey", "News form home", "Les rendez-vous d’Anna" et last but not least "Jeanne Dielman".