Birane Ba, Leïla Bekhti, Dali Benssalah, Élodie Bouchez, Suliane Brahim, Jean-Pierre Darroussin, Adèle Exarchopolous, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Denis Podalydès et Fred Testot
« La Justice Restaurative, c’est un sport de combat ! » annonce Paul (incarné par Denis Podalydès) au début de Je verrai toujours vos visages. Phrase d’accroche d’un récit à la structure cyclique, organisée autour de formations, cette assertion sera reprise et développée en guise de première conclusion. De la discipline sportive, le long-métrage reprend en effet certaines composantes (apprentissage, préparation, entraînement, obstacles, face-à-face), et les inscrit dans un système d’écoute et de célébration du collectif sur base du volontariat.
À l’origine du projet, il y a donc un sujet, la Justice Restaurative, ce domaine qui, depuis 2014, propose à des auteurs d’infractions et des victimes d’actes similaires de se rencontrer dans un environnement sécurisé. L’échange, la sensibilisation des agresseurs et la réparation sont au centre de la démarche, car elle n’offre pas de réduction de peine aux accusés. À partir d’une pratique réelle relativement méconnue, la scénariste et réalisatrice Jeanne Herry (Elle l’adore, Pupille) tire une matière de fiction documentée où ce qui est enfoui à l’intérieur des personnages peut s’exprimer dans des dialogues à valeur d’action psychologique. Dès lors, l’entrée de Nassim (Dali Benssalah), condamné pour homejacking, dans un cercle de parole le confrontera à un groupe de détenus et de personnes traumatisées par des attaques, tandis que l’éprouvante médiation de Chloé (Adèle Exarchopoulos), victime des viols incestueux, visera à établir une série de règles avec son frère pour éviter de le croiser au quotidien.
Le film puise dans les entrevues et leur codification (le passage de bâton, par exemple) pour installer une dialectique de vis-à-vis rythmée. Lors des conversations, la cinéaste travaille fréquemment l’amorce en plaçant un.e protagoniste de dos, près de la caméra, et en faisant le point (pour le/la rendre net.te) sur celui/celle/ceux qui est/sont en face, scindant ainsi le cadre en deux. Ce procédé oppose les discours dans un même plan qui, telle une zone partagée, pourra éventuellement les re-connecter. Le texte, gargantuesque et méticuleux, donne à chaque interprète une partition millimétrée quoique suffisamment dense pour permettre à chacun.e de la moduler. L’écriture ciselée et la mise en scène des chocs intimes reposent sur l’implication verbale et corporelle d’un casting qui s’intègre dans le dispositif avec justesse et émotion. Leïla Bekhti excelle notamment entre colère et besoin viscéral de s’ouvrir à nouveau pour revivre. Malgré quelques raccourcis (une poignée de répliques canalise une peur panique) et des coutures scénaristiques perceptibles, les joutes des séances assignent au public une position de témoin qui doute, change d’avis et constate les échecs d’un système pénal qui s’encombre trop peu de la qualité d’existence des différentes parties après le verdict. Empêcher la récidive devient progressivement un enjeu primordial du processus ; jusqu’à se retrouver dans le titre du long-métrage.
Adoptant les idéaux du bénévolat qui soutient ces initiatives, Je verrai toujours vos visages admet que ce parcours ne convient pas à tout le monde, mais le récit fait le choix de l’optimisme. Au sein de l’arc narratif sur les violences sexuelles, ce parti-pris et des effets esthétiques se heurtent, partiellement, à des questions de représentations. La puissance du langage, la culpabilité reportée sur les victimes qui dénoncent leur agresseur, et la performance d’Adèle Exarchopoulos transmettent avec assez d’épaisseur le vécu de Chloé et n’appelaient pas forcément à un artifice de montage comme les flashbacks redondants qui superposent les abus de l’enfance et leur impact à l’âge adulte. L’intensité et la maîtrise du jeu de l’actrice, qui mérite tous les superlatifs d’usage, suffisent à capter - physiquement et vocalement - les blessures, le bouillonnement et la résilience qui animent la jeune femme. Lorsque son personnage confie à sa médiatrice (Élodie Bouchez) : « tu sais, j’ai compris les règles et tout, mais des fois ça me tord le bide quand je me dis que tu protèges mon frère autant que tu me protèges moi », la comédienne laisse déborder (souffle, inflexion, projection) une rage et une tristesse qui traduisent mieux que n’importe quel ornement audiovisuel cette forme d’injustice qui ne dit pas son nom. De même, la lueur d’espoir finale (le rayon de soleil au-dessus de la tête de Chloé, la voix off comparant la souffrance des viols à des drames d’autres natures) sonne comme une démonstration utopique. Une réparation complète est-elle réellement envisageable après des traumas et un chemin de médiation aussi brutaux ? Le film de Jeanne Herry semble penser qu’il faut croire en l’impossible pour contribuer à l’accomplir de temps en temps. C’est peut-être vrai, et quoi que l’on en pense, Je verrai toujours vos visages ouvre avec acuité des espaces de communication constructifs, ce qui est déjà une réussite.
Katia Peignois