Docu-fiction
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L’AVOCAT DE LA TERREUR

Barbet Schroeder (France 2007 - distributeur : Les Films de l'Elysée)

la liste des intervenants peut être consultée sur le site www.avocatdelaterreur.com

135 min.
20 juin 2007
L'AVOCAT DE LA TERREUR

Jacques Vergès ou l’homo ruptus du nom de cette ligne de défense, dite de rupture, dont il étaye ses plaidoiries, éloignées du ronron habituel des apologies centrées sur la connivence avec l’autorité judiciaire.

Avec une habileté de matou madré et intelligent, il joue à ce qu’il est - un "salaud lumineux" selon ses propres termes - devant une caméra qui ne semble ni dupe ni justicière. Essentiellement présente à être une fenêtre sur un parcours de vie emblématique d’une Histoire convulsive et à tendre un miroir à celui qui s’y pavane avec une afféterie tantôt fascinante, tantôt révulsante.

C’est sous le regard mi-clos d’un énigmatique Bouddha que Vergès le défenseur de terroristes, (Anis Naccache), de nationalistes anti colonialistes (Djamila Bouhired), de criminels contre l’humanité (Klaus Barbie) ou de droit commun (Omar Raddad), bavarde, cabotine, sourit. Parfaitement conscient (et semblant s’en réjouir) d’être un mystère que chacun abordera selon ses fantasmes. Menteur et manipulateur pour les uns, homme de parole et ami fidèle pour les autres. Dangereux pour beaucoup, grotesque pour d’aucuns.

La force du cinéaste étant de ne s’autoriser que de la singularité revendiquée de son regard n’impose pas un portrait, il l’esquisse. Fidèle à sa spécialité - privilégier l’humain (*) à partir de documents d’archives, de témoignages, d’entretiens personnels - il donne de Vergès une image dont il ne sort ni grandi ni amoindri mais intimement lié à plus de 50 ans de terrorisme algérien, palestinien, allemand, iranien…..

Pourtant on peut se demander si c’est en raison d’un écœurement, d’une déception, d’un agacement face à la délectation avec laquelle son "modèle" se dessine ou se laisse dessiner comme un élément déterminant de cette partie de l’Histoire contemporaine qui agglutine activisme, amitiés malsaines et argent mal acquis, qu’il choisit délibérement de ne pas le présenter comme « l’avocat du terrorisme » mais comme celui de la terreur ?

Par ce volontaire glissement de vocabulaire, le cinéaste affadit l’intention politique d’un engagement et ramène la thèse martelée par l’avocat que sa haine du colonialisme serait le socle fondateur de ses prises de fait et cause pour les pires tortionnaires à un gimmick de procédure.

Les cinéastes discourent (essentiellement) avec des images, les avocats avec des mots. Les meilleurs d’entre eux ont un style (un genre) qui permet de les reconnaître sans coup férir.

Le mélodrame réunit Douglas Sirk et René Floriot (le Docteur Petiot), la passion Tarentino et Tixier-Vignancourt (Raoul Salan de l’OAS), le retors Cronenberg et Soulez Larivière (Noir v/Boton), le populaire Verneuil et Maurice Garçon (Affaire Dominici), l’empathique Abel Gance et Jacques Isorni (Pétain), etc….

Vergès, qui se décrit lui-même comme « Avocat du Diable, avocat de Dieu » (**), a quelque chose du cynisme et de l’amoralité d’Al Pacino dans « The Devil’s advocate » de Taylor Hackford.

Avec lui, on a l’impression que le mot Justice s’écrit sans majuscule et que ce n’est pas grave.
Alors qu’une société qui ne redonne pas au Droit ses valeurs de rectitude et d’intégrité peut-elle encore se revendiquer de la démocratie ? (m.c.a)

(*) « Général Idi Amin Dada : autoportrait », « Koko, le gorille qui parle », « Charles Bukowsky tapes »
(**) dans son livre co-écrit avec Alain de la Morandais et paru aux éditions de la Loupe.