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L’ennemi

Stephan Streker

Avec Jérémie Renier, Alma Jodorowsky, Emmanuelle Bercot

100 min.
26 janvier 2022
L'ennemi

Si vous pensez que le film de Stephan Streker est un film qui retrace » l’affaire Wesphael », fait -pas tellement-divers d’ un homme politique belge (Jérémie Renier) accusé d’avoir tué son épouse (Alma Jodorowsky) retrouvée morte dans une chambre d’hôtel… vous vous trompez un peu !
Il est vrai cependant que le réalisateur est parti de cette histoire : « Ce qui m’avait d’ailleurs d’emblée marqué dans l’affaire qui a très librement inspiré le film, c’est que tout le monde avait un avis, souvent très tranché, sur la culpabilité ou non du personnage principal de cette histoire (c’était du 50/50), alors que pourtant, par définition, personne n’avait été témoin de ce qui s’était réellement passé."
On se souvient de « Noces », film réalisé par Streker à partir de l’affaire Sadia Sheikh en 2007 : ce film et « L’Ennemi » sont conçus comme un diptyque , partis de faits divers connus en Belgique mais inconnus dans le reste du monde : « En écrivant l’histoire, je ne conserve que le substrat parce que ce qui m’intéresse ce ne sont pas vraiment les faits mais bien les profonds enjeux moraux et les questionnements qu’impliquent ces deux histoires fortes."
Et en effet, au delà de l’histoire connue ou pas connue,
« L’ennemi » fait s’interroger le spectateur sur la notion « d’intime conviction », sur la notion de jugement moral que tout le monde ne peut éviter d’émettre. Par sa mise en scène magistrale, Streker pousse le spectateur – c’est-à-dire chacun de nous- à s’interroger sur ses réactions : « L’intime conviction en dit plus sur celui qui juge que sur celui
qui est jugé » ajoute t-il.
« L’ennemi » est aussi un film sur la Belgique et ses contradictions : un député qui ne comprend pas la langue des policiers qui l’interrogent, deux sphères politiques et culturelles qui coexistent et ne se rencontrent pas vraiment. C’est aussi une ville portuaire (Ostende) vue comme un personnage à part, » belle et dramatique, apaisante et violente. Avec une vraie folie aussi. Et puis, c’est surtout la ville de James Ensor ».
La maitrise des scènes, la construction du scénario, les allers et retours entre des versions différentes, , entre ce qui pourrait être rêve ou réalité, tout est conçu pour dérouter le spectateur et l’amener à se poser des questions. Le jeu des acteurs, en particulier la performance subtile et forte de Jérémie Renier réussit à faire douter le spectateur en permanence, à apporter des nuances, des zones de mystères : « C’est la responsabilité du cinéma, plus que jamais, d’apporter de la nuance, de la complexité et de la profondeur, alors que les réseaux sociaux semblent les avoir rejetées depuis longtemps » tient à souligner Streker.
Un film envoutant.
France Soubeyran