Qui suis-je ?
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Coup de coeurLAURENCE ANYWAYS

Xavier Dolan (Canada 2012)

Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri, Melvil Poupaud

159 min.
18 juillet 2012
LAURENCE ANYWAYS

Si Leos Carax est le boson du 7ème art francophone (*), Xavier Dolan en est l’électron le plus libre.

Sorte de Rimbaud (par la précocité - il a terminé son premier film à 18 ans) qui n’appartient à aucune école, fors celle de faire pleuvoir des météorites sur les écrans.

Météorites qui éblouissent et questionnent.

La relation balancée entre haine et amour d’une mère et de son fils dans « J’ai tué ma mère », la force des sentiments dans « Les amours imaginaires » et le "Qui suis-je ?" cher, depuis Socrate, aux philosophes dans « Laurence Anyways ».

Cet(te) Laurence dont le prénom hermaphrodite convient autant à une fille qu’à celui qui né garçon souhaite changer d’identité sexuelle - thème déjà abordé par Alain Berliner dans son magico-fantastique « Ma vie en rose ».

D’une surprenante inventivité dont les leviers sont à la fois un aplomb dans le développement de l’intrigue, des dialogues affûtés, une superbe maîtrise de la forme et un romantisme qui aurait séduit Schiller, cette troisième réalisation du canadien québécois affole les pupilles.

Autant qu’elle enchante les esprits de ceux qui tiennent la séduction-attitude, l’audace sentimentale et l’expressivité émotionnelle pour des qualités.

Il y a de la fougue, de la fulgurance mais aussi de la mélancolie et de la détermination dans cette histoire d’un professeur de littérature de 35 ans qui annonce à sa compagne, Fred (effet miroir de deux prénoms unis par la même transexualité) que dorénavant il entend vivre sa vie comme la femme qu’il a toujours été.

Leur amour possédera t-il cette élasticité qui fonde, par son adaptation à de nouvelles donnes, la durée des couples ?

C’est là l’enjeu, déchirant et attachant, de ce film qui nous confronte à nos « Kunikuzai » (**), à nos tolérances à accepter les changements demandés aux amoureux par leurs partenaires.

L’intelligence de " Laurence ...", placée sous la tutelle aussi vivifiante que ritualisée de l’Art - Léonard de Vinci (pour l’énigme sexuelle), Matisse (pour les couleurs), Mondrian (pour la géométrie des cadres) Virginia Woolf (pour la référence à Orlando), Noia (pour la bande son originale) … - permet à ce film de 159 minutes de filer comme la flèche qui nous transperce le cœur par les émotions qu’elle éveillent.

Flèche qu’un Cupidon, lesté de l’intrépidité transgressive d’un Godard, de la douceur sans concession d’un Truffaut et convaincu, comme Fassbinder, que malgré les préjugés et les risques de mise au banc social, les désirs ne doivent pas rester des fantasmes, aura confié pour s’assurer qu’elle atteigne sa cible à deux acteurs formidables

Suzanne Clément et Melvil Poupaud qui donnent à leurs personnages le meilleur de leur talent. Avec une souplesse de jeu, une énergie intérieure et une absence d’a priori qui épatent.

Par l’alchimie créée entre eux et un cinéaste doté (doué) d’un jusqu’au boutisme et grâce inouïes. (mca)

(*) voir la chronique de "Holy motors" sorti ce 8 juillet 2012

(**) ou limites franchies avec avidité par Yasumasa Morimura qui, dans ses auto portraits, adore se transformer en femme pour incarner ses idoles : Ingrid Bergman, Marylin Monroe, Greta Garbo ..