Julien Cochelin, Pascal Cervo, Annie Cordy
Garrotté, étouffé entre deux onomatopées - un plouf d’entrée et 3 bangs de sortie – « Le dernier des fous » est un film d’une tristesse infinie et irréversible.
Il est une plongée en apnée au cœur d’une famille qui, depuis longtemps, a cessé d’être dysfonctionnelle pour devenir tout bonnement folle.
La mère, mélancolique et sujette à des crises de panique, vit recluse dans sa chambre. Le fils aîné, homosexuel à l’amour contrarié, sombre dans l’alcool et la dépression. Le père est atteint d’une morbide tendance à la procrastination et la grand-mère - une étonnante (*) Annie Cordy - en despote clairvoyante, souhaite vendre la ferme familiale. Espérant ainsi mettre un point final à la fascinante attraction de ses descendants pour le mal-être.
Ce qui saisit le spectateur à la gorge c’est moins l’histoire ou les relations entre les personnages que la façon de les mettre en scène et de décrire, l’équerre toujours à portée de caméra, la perpétuelle tension entre les deux pulsions, décrites par Freud comme primaires, qui oscillent entre la vie et la mort.
« Le dernier … » est une adaptation d’un livre de Timothy Findley, auquel on doit une interprétation très personnelle de la vie de Carl Gustav Jung (**). Adaptation qui réserve une part belle aux mystères et aux lacunes narratives dues au fait que le drame est perçu à travers les yeux d’un enfant de 11 ans, Martin, qui ne saisit de la réalité que ce qu’il est capable de comprendre.
Au spectateur donc de suppléer les trous d’un récit fragmenté parce que raconté par son plus immature intervenant, espèce de petit Ménin au visage douloureusement sans âge. Parti pris que le metteur en scène traduit par la large place accordée aux hors champs dans lesquels se trouvent, autant que dans les champs visuels, les clefs d’un savoir que le jeune Martin ne possède pas.
En contrepoint d’une noirceur absolue, un soleil. Celui d’une domestique, Malika, dont les réserves de tendresse et d’équilibre pourront, un temps, permettre à la situation de se maintenir en faisant illusion. Mais, tout comme la partie malandrée d’une charpente finit par gangrener l’édifice dont elle fait partie, elle ne pourra pas éviter la décharge finale dont on soupçonnait, à chaque instant, l’imminence programmée.
Il y a du Mauriac, celui de « Nœud de Vipères », dans ce regard sur une parenté devenue prisonnière d’elle-même. Il y a aussi du « Famille je vous hais ». Titre qui aurait convenu à cette deuxième réalisation de Laurent Achard s’il n’avait déjà été utilisé, en 1997, par Bruno Bontzolakis. (m.c.a)
(*) ce qu’elle est souvent au cinéma « Le passager de la pluie » de René Clément, « Rue haute » d’André Ernotte, « C’est beau une ville la nuit » de Richard Bohringer
(**) « Pilgrim » édité chez Folio