Ecran Total
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LE LIBRE ARBITRE

Matthias Glasner (Allemagne 2007 - distributeur : Ecran Total)

Sabine Timoteo, Jürgen Vogel, Manfred Zapatka

168 min.
16 juillet 2008
LE LIBRE ARBITRE

Il y a des films qui vous emportent. Des films qui dès la première seconde, dès la première image, vous transportent dans leur récit, dans leur univers. Vos pieds se détachent du tapis plein de la salle et vous disparaissez dans le défilement de la pellicule. « Le libre arbitre » fait partie de ces films.

Pourtant ce n’est pas exactement ce que l’on pourrait appeler un film enivrant. Pour la simple raison que l’histoire qu’il conte est beaucoup trop complexe, beaucoup trop dérangeante pour pouvoir parler d’un enivrement à sa vision.

Histoire d’un violeur qui, après neuf ans de détention psychiatrique, tente péniblement de se réadapter à la vie en dehors du centre. Et si se refaire au monde extérieur n’est pas une mince affaire pour Théo, la réelle difficulté pour lui est d’arriver à s’assumer lui-même dans cet univers où il n’a pas forcément sa place.

Car si Théo a pris conscience de son problème, a appris à le comprendre, il n’en est pas guéri pour autant. Et il le sait. 

Sur la base de cette prémisse pourrait naître un film convenu, suivant les pas d’un homme en déséquilibre, mais « Le libre arbitre » ne se contente pas de cela. Matthias Glasner crée l’inconcevable, montre ce à quoi on n’osait penser.

L’amour. L’histoire d’amour entre Théo et Netti, jeune femme sauvage qui semble presque aussi mal à l’aise avec la vie que Théo l’est avec lui-même.

Surgit alors un film unique, étrange et audacieux, où le réalisateur filme ces deux êtres en sursis, ces deux bêtes humaines traquées par la réalité avec une douceur rare.

C’est peut-être son image légèrement surexposée, comme délavée, qui dès le début du film séduit sans que l’on puisse vraiment dire pourquoi. Il y a quelque chose de familier dans sa texture. Comme un vieux film de famille. Une proximité.

Matthias Glasner filme avec virtuosité et intensité sans jamais tomber dans l’exercice formel, la prouesse filmique. Au contraire. Il place sa caméra, reste fixe et capte.

Il pose le même regard sur les agissements violents de Théo que sur l’amour partagé, un regard dénudé, dure et tendre à la fois, dans un de ces paradoxes cinématographiques qui fait que l’on est soudain à même de tout voir, de tout regarder, de l’horreur la plus totale au bonheur le plus échevelé, parce qu’il nous est montré sans aucun jugement, sans aucune fioriture, sans aucun effet de style.

Simplement. Et cela a quelque chose de proprement désarmant.

Glasner se livre à la cartographie des visages de ses deux personnages. Ces deux êtres presque incapables de parler, se donnent à comprendre au travers de leurs expressions. Leurs visages sont filmés avec une force tranquille et résolue.

Il faut souligner la performance des deux acteurs, Jürgen Vogel et Sabine Timoteo, qui incarnent Théo et Netti. Plutôt que de jeu, il est plus juste, en ce qui les concerne, de parler de présence. D’être là. Ils sont à l’écran. Posés, monuments humains faillibles qui partagent, pour un instant seulement, un moment de grâce.

Nudité pudique mais jamais obscène, leur corps et leurs peaux s’étalent à l’écran, expriment par leurs mouvements les mots qu’ils n’échangent pas.

Et c’est bouche-bée que l’on sort nous aussi de ce film. Les mots manquent pour décrire les sentiments ressentis à sa vision. On ne peut avoir de l’empathie pour Théo, et pourtant, on ne peut s’empêcher d’être touché par ce personnage mutique. On a du mal à envisager les émotions de Netti, et pourtant, on ne peut que les comprendre.

Avec ce second long métrage [1], Matthias Glasner prouve qu’il est un des cinéastes allemands les plus prometteurs de sa génération. Parce qu’il filme avec dépouillement et singularité des sujets chocs qui n’ont sous sa caméra plus rien de racoleur, mais qui, au contraire, questionnent dans leur aspect dérangeant.

Un film à voir, impérativement. (Justine Gustin) 

[1] En 1996, il avait déjà réalisé « Sexy Sadie », film portait d’un psychopathe.