Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme, Louis Garrel, Grégoire Leprince-Ringuet
Chez Christophe Honoré, le kitsch de la comédie musicale le cède à l’irrévérencieux. On fume, on lit ( John Slater, Adam Thirlwell, Hervé Guibert...), on se revendique romantique et on n’hésite pas à s’avouer, dans la relation amoureuse, génériquement inconstant.
Ismaël vit avec sa petite amie et l’amie de celle-ci qui, à l’occasion, peut aussi devenir la sienne. Un événement tragique va bouleverser cet étrange équilibre et contraindre ce qui reste du trio à s’’inventer un vivre autrement pour éviter que ne s’installe un sentiment de deuil inconsolable.
Dans « le temps qui reste » François Ozon accompagnait son personnage dans une préparation à mourir apaisé. Dans « Les chansons… », il est aussi question d’un apprentissage. Non pas à comment bien mourir mais à comment bien survivre à la mort d’un être aimé. Aux « Petits arrangements avec les morts » (*) sont préférés les petits arrangements avec les mots que l’on choisit de chanter parce que mettre en notes des sentiments leur donne une expressivité jusque là refoulée.
Ces « Chansons… » ont quelque chose d’élégamment consolateur. Elles illustrent, avec une naïveté timide et désarmante, le principe même du continuum de la vie, plus fort que l’accidentel hasard de la mort.
Elles sont aussi un vibrant hommage à tout ce cinéma que Françoise Giroud a fédéré sous le label de « Nouvelle vague ». Ismaël est au lit avec Julie et Alice comme l’étaient Alexandre, Marie et Véronika dans « La maman et la putain » de Jean Eustache. Lire sous les couvertures est aussi charmant que dans « Baisers volés » de Truffaut. Vêtir Ludivine Sagnier d’un manteau blanc est créer entre elle et l’Anna Karina de « Une femme est une femme » de Godard, un précieux lien qui inscrit le cinéma d’aujourd’hui dans une filiation revendiquée avec celui d’hier.
Inséré dans une ligne du temps, le film l’est aussi dans un espace précisément territorialisé (**) dans un Paris vivant, bruyant, actuel, faisant même d’une affiche électorale de Nicolas Sarkozy un élément qui authentifie le décor et lui confère une mémoire d’époque.
Louis Garrel est aux années 2000 ce que Melvil Poupaud a été pour la décennie 1980/1990. Une apparition mi-précieuse (donc agaçante) mi-séductrice (donc séduisante).
Les chansons d’Alex Baupain, interprétées par les acteurs (et notamment par une déconcertante Chiara Mastroianni) donnent au film une maladresse, une fragilité attachante bien éloignée des confortables nostalgies de la génération bénabaro-delermienne.
Il y a du frémissant, du nunuche, du prosaïque, de l’invraisemblable, parfois même du ridicule
dans ces « Chansons… » Mais il y a surtout une incroyable grâce, presque miraculeuse. Faisant de Louis Garrel un moderne Orphée, qui parce qu’il accepte de quitter le domaine des ombres sans se retourner, retrouve, sans l’avoir prémédité, le chemin de la vie. (m.c.a)
(*) de Pascale Ferran
(**) Entre Bastille et Strasbourg-Saint-Denis