Leïla Bekhti, Damien Bonnard
Un père et son fils naviguent sur un petit bateau de plaisance. C’est une belle journée ensoleillée. Ainsi commence « Les Intranquilles », dernier long-métrage de Joachim Lafosse, sur cette image d’un bonheur simple et universel qu’il fait voler en éclats, en deux temps trois mouvements, et l’inquiétude s’installe.
Ce n’est pas la première fois que le cinéaste belge nous emmène dans les eaux troubles de l’intimité familiale pour sonder au plus près ce qui se passe dans chacun de nous. Il réussit ici encore un peu plus à capter le réel avec une grande fluidité. Les personnages vivent et évoluent devant nos yeux grâce à une caméra et une mise en scène qui se rattachent à leurs corps, à leurs mouvements dans l’espace, donnant ainsi plus de poids à leur ressenti. On les observe, on partage leur point de vue et personne n’est mis de côté. Et c’est sans doute surtout de cela qu’il s’agit : que personne ne soit mis de côté. Les intranquilles, au pluriel.
L’histoire est celle de Leïla et Damien, un couple aimant. Avec Amine, leur enfant, ils habitent une belle maison et sont passionnés par ce qu’ils font. Ils ont tout pour être heureux, mais cette sécurité est mise à mal par une tare qui ronge leur foyer. Damien est atteint de troubles bipolaires, une pathologie qui le fait valser d’une phase maniaque - où il se sent tout puissant de manière explosive et exponentielle - à son extrême, soit une phase dépressive - qui le tire au plus bas de lui-même, en perte totale du goût de la vie. Lui, il est bien obligé de vivre avec, mais qu’en est-il de ses proches ? Ils attendant la crise avec anxiété, vivant au rythme de ses humeurs fulgurantes, tels des témoins impuissants face à cette chose inexplicable qui sommeille en lui.
Le film nous montre cette attente, cette intranquillité latente, la possibilité d’un traitement lobotomisant et l’impossibilité à faire ce choix. Choisir d’avaler la pilule signifie aussi, chez Damien, artiste peintre talentueux, de mettre une croix sur l’incroyable pulsion créatrice que lui procure la phase ascendante. Sauf qu’après, c’est la descente aux enfers, plus destructrice que jamais.
Les moments de répit permettent de garder espoir, de croire que l’amour qu’ils se portent peut faire face à la maladie. Cependant, le désespoir accumulé se transforme en paranoïa et la confiance mutuelle semble ébranlée. Si la fin peut paraître décevante, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’issue, il n’y a pas de solution clinique, mais on peut toujours l’inventer, au cas par cas. Cela dit, rien que pour la scène chantée dans la voiture, et ce n’est pas la première fois que les personnages de Joachim Lafosse empruntent les paroles d’une chanson* pour s’exprimer, « Les Intranquilles » donne envie de rire et de pleurer à la fois. C’est plein de vie, c’est dur et beau, parfois délirant, ça fait du mal et du bien et on ne comprend pas toujours pourquoi l’on aime ça.
Luz
* « J’veux m’enfuir » de Bernard Lavilliers avec Catherine Ringer