Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston, Ed Begley Jr, Tom Skerritt,
Barry Shabaka Henley, James Darren, Beth Grant, Yvonne Huff Lee, Hugo Armstrong
Lucky (Harry Dean Stanton) a atteint un âge canonique et semble increvable. Il mène une vie solitaire et routinière. Ses journées sont réglées comme du papier à musique. À peine levé, il allume une cigarette - la première d’une longue série-, boit un café, fait sa gymnastique quotidienne et s’adonne à ses exercices de yoga avec entrain et discipline. Une fois apprêté, il déambule dans la ville jusqu’à la cafétéria où il y fera ses mots croisés avant d’aller s’acheter sa brique de lait à la superette du coin et de retourner chez lui pour y regarder ses émissions de télé favorites. Le soir, il ira au pub pour y rejoindre les habitués, dont son ami, Howard (David Lynch), désespéré par la disparition de sa tortue. Mais un matin, la tranquille mécanique de Lucky est brisée par un incident aussi anodin que perturbant.
Premier film très réussi de John Carroll Lynch, écrit sur mesure pour Harry Dean Stanton qui y jouera son avant-dernier rôle, « Lucky » est à l’image de son personnage central ainsi que du décor dans lequel il évolue, une petite ville perdue au milieu du désert qui respire l’Amérique profonde. Tous les personnages qui croisent la route de ce cow-boy solitaire sont aussi communs que typés. La vie suit son cours au rythme de la quotidienneté, et en allant voir « Lucky », il ne faut guère s’attendre à de vives tensions dramatiques ni à de multiples rebondissements.
Le charme du film opère au sein de l’atmosphère qui s’en dégage ; le rebond siège dans l’ordinaire et dans la simplicité, et plus particulièrement dans le regard et le cheminement d’un homme, qui, passant de la douce insouciance à la sourde inquiétude, partage avec qui veut l’entendre ses traits d’humour, ses accès de colère, ses amertumes, ses silences et ses réflexions.
Traversant la vie tantôt à la manière d’un adolescent rebelle tantôt tel un vieux sage, Lucky se livre autant qu’il se délivre. Passant d’un état d’âme à l’autre, il revisite son passé autant qu’il salue le présent retrouvé, et c’est avec un grand naturel et une belle générosité qu’il pianote sur toute la palette émotionnelle que peut inspirer tout face-à-face avec la seule certitude que renferme la vie, celle de devoir s’en absenter un jour ou l’autre.
Mélancolique et joyeux, réaliste et anxieux, méditatif et poétique, le personnage de Lucky est à lui seul une tendre invitation à regarder la vie telle qu’elle est, et non telle que nous sommes.
Film hommage à un vétéran du cinéma, serti d’une discrète élégance, « Lucky » esquisse avec beaucoup de finesse l’intime portrait d’un homme dans toute sa nudité face à la perspective de la mort, ou autrement dit, face à l’éveil de ces moments d’être qui font le sel de la vie, quel que soit l’âge que l’on ait.
(Christie Huysmans)