Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Judy Davis, Asia Argento, Marianne Faithfull
Qu’il est intéressant le cinéma quand il crée la controverse.
Et matière à controverse il y a puisque Sofia Coppola, de façon délibérée, a choisi de ne pas sacrifier aux lois de la reconstitution historique subordonnée au souci de la seule véracité, mais à celles, autrement délicates et subtiles, de la re-création imaginaire (mais crédible) d’un personnage devenu une sorte de cliché rigidifié par un cinéma tantôt trop prosaïque (Michèle Morgan et Jean Delannoy) tantôt trop chimérique (Norma Shearer et W.S. Van Dyke)
L’ouvrage est, à mes yeux, somptueux et bouleversant parce qu’il est une sorte de palimpseste c’est-à-dire un regard personnel sur ce qui a déjà été écrit à propos d’une reine dont le parcours sera volontairement amputé de sa fin tragique pour être circonscrit à un espace temps bordé de deux scènes d’adieux qui scellent chacune un drame.
Le drame de l’exil lorsque en 1770 il faut quitter un pays et une famille pour, à 15 ans, devenir Dauphine de France et le drame de la chute lorsqu’en 1789 il faut renoncer à un Royaume dont n’aura été exploré que son symbole le plus fastueux et le plus artificieux : Versailles.
Le film, s’autorisant d’une biographie d’Antonia Fraser (qui est l’épouse du dramaturge Harold Pinter) souligne que, coincée entre la négligence amoureuse du Roi, le chantage froid d’une mère, l’Impératrice Marie-Thérèse qui la somme de faire au plus vite un enfant et le regard formaliste voire malveillant d’une Cour xénophobe, pour survivre la jeune Marie Antoinette doit s’inventer un lieu, un territoire (ce sera le petit Trianon) qu’elle consacrera à la frivolité, ultime rempart contre l’angoisse et l’amertume de ne pas savoir où est sa place.
Eblouissante de fraîcheur ou imperceptiblement atteinte d’un « taedium vitae » que seuls les amusements peuvent apaiser, Kirsten Dunst sait aussi laisser présager, à la mort de son fils premier-né, une gravité dans laquelle s’originera la force dont elle aura besoin pour affronter un avenir dont elle est loin de soupçonner la cruauté.
Beau le film l’est par les matières, les objets, les décors qui sont magnifiés avec élégance et profusion.
Intelligent il l’est aussi notamment par l’originalité de sa bande son qui, par son mélange de musiques classiques,de tubes des années 1980 et de morceaux contemporains, affirme dynamiquement l’universalité d’un propos déjà développé par la réalisatrice dans ses films précédents : la période qui sépare l’adolescence de l’état de jeune femme est un passage malaisé à négocier.
Coppola ne se sent pas asphyxiée par l’idée d’un film qui soit à la fois d’époque et étonnamment post moderne. Elle est de la race d’un Syberberg qui a osé un Louis II de Bavière bien éloigné de la vision viscontienne ou d’un Derek Jarman dont l’« Edward II » est un renouvellement du classique Christopher Marlowe.
Que soient bénis ces cinéastes qui préfèrent s’impliquer dans leur époque que s’appliquer à reproduire ce qui a déjà été fait. Ils participent à l’évolution du 7ème art. (m.c.a)