Film belge
1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s) 1étoile(s)

MARIEKE, MARIEKE

Sophie Schoukens (Belgique 2010)

Barbara Sarafian, Hande Kodja, Jan Decleir

104 min.
26 janvier 2011
MARIEKE, MARIEKE

Ay Marieke, Marieke
Le ciel flamand
Pesait-il trop
De Bruges à Gand
Ay Marieke, Marieke
Sur tes vingt ans
Que j’aimais tant
De Bruges à Gand

Zonder liefde, warme liefde
Lacht de duivel, de zwarte duivel
Zonder liefde, warme liefde
Brandt mijn hart, mijn oude hart
Zonder liefde, warme liefde
Sterft de zomer, de droeve zomer
En schuurt het zand over mijn land
Mijn platte land, mijn Vlaanderenland

Dès la lecture du titre et de ce prénom répété, la ritournelle s’impose à nous pour ne plus nous lâcher.

 

C’est peut-être cela qui, d’emblée, place le film de Sophie Schoukens dans une situation paradoxale. Au lieu de découvrir son personnage principal au fil des premières séquences du film, il nous semble déjà (trop ?) familier, entièrement relié à cette Marieke de 20 ans « qu’il aimait tant ». Ancré dans le souvenir de la voix de Brel, dans la dualité de notre territoire et de nos langues nationales, ce prénom renvoie à une dimension presque perdue, profondément nostalgique, accrochée de façon féroce à un coin de notre mémoire.

 

Ecrasée par le poids de cette chanson, la Marieke de Sophie Schoukens semble manquer de souffle.

Marieke (Hande Kodja), jeune fille de 20 ans vivant avec sa mère veuve, Jeanne (Barbara Sarafian), et employée dans une chocolaterie, vit de rencontres avec des hommes âgés qui deviennent ses amants et qu’elle prend en photo, les transformant en ‘fragments d’hommes’.

 

Le retour de Jacoby (le toujours extraordinaire Jan Decleir), l’ancien éditeur de son père décédé il y a 12 ans, la confronte à un passé que sa mère a tenté d’effacer. Les lignes de conduite (de fuite ?) sont évidentes : le passé secret, la confrontation à la mère, la relation fantasmatique à la fois au père et aux hommes âgés. Un traitement plus précis du corps de Marieke et de ses sensations aurait pu emporter le film au-delà des clichés vers un récit du temps interne ; une construction minutieuse des fondations entre le père, la mère, l’éditeur et la jeune fille aurait mené à une narration plus solide. Mais Schoukens se perd dans des déambulations sans issues, oubliant parfois les lignes tracées ou même les personnages, en cours de route.

Trop d’impasses symboliques (les photographies, de corps et de nuages, prises par Marieke, les matières comme les peaux, le chocolat triturés, travaillés) ou narratives (la relation avec Anna ou même avec Jacoby, le manuscrit, les circonstances de la mort de son père) qui ne trouvent pas leur complétude.

 

Trop d’évidences (les séquences en flash-back dans la maison, comme autant de souvenirs refoulés de la relation au père, l’attrait de Marieke pour les hommes âgés, les photos brûlées, la chute annoncée). Les personnages eux-mêmes semblent pétrifiés dans leurs rôles ; la mère rigide et seule, l’éditeur venant révéler le passé, la jeune fille qui, au lieu de devenir libre, se referme sur elle-même.

 

De belles idées, maladroitement exploitées, comme les déplacements libres puis progressivement entravés de Marieke dans la ville, ou ces rencontres trop systématiques et cycliques de la mère et la fille dans l’eau, du premier bain au réapprentissage de la vie dans la scène finale, qui témoignent pourtant du véritable rapport symbiotique des deux femmes par l’élément ontologique et aquatique.

Il reste des éclats, des petits fragments auxquels le spectateur se rattache, pour échapper au côté maladroit et aux impasses du film, comme cette séquence où Jan Decleir découvre les photographies et chantonne « Marieke Marieke » à la jeune fille qu’il entraîne dans un tourbillon enivrant et qui nous éloigne pour quelques instants d’une progression trop prévisible.

 

Car ce sentiment ne nous délaisse tout au long du film : il faut retrouver « Marieke Marieke », celle perdue sous le ciel flamand. Et dans un dernier sursaut annoncé, comme pour combler les manques et les attentes laissés par le film, la voix de Brel vient finalement nous troubler, résonnant sur l’image d’une Marieke entièrement replongée dans la symbiose maternelle, mais dont on ignore toujours pourquoi et comment elle a réchappé à la mort et au passé.

Muriel Andrin
Université Libre de Bruxelles