Bandeau noir

MELANCHOLIA

Lars von Trier ( Danemark 2011)

Kisrten Dunst, Charlotte Gainsbourg, John Hurt, Kiefer Sutherland

210 min.
10 août 2011
MELANCHOLIA

A voir ? Pas sûr.

Dire pourquoi on est réticent ? Sûrement.

Si pour Oscar Wilde, l’artiste n’a pas à être le valet de son public, le spectateur a lui aussi la liberté de refuser d’être le laquais de l’artiste.

Même quand on lui dit que celui-ci, en l’occurrence Lars von Trier, est un cinéaste majeur et que son dernier film « Melancholia » est une de ses oeuvres les plus abouties (*).

Est-ce pour cela qu’il faut oublier, minimiser ou tolérer les propos qui ont été tenus par le réalisateur lors de la conférence de presse donnée à Cannes durant la quinzaine festivalière 2011 ?

Propos rappelons-le, où après être parti longuement en vrille sur le fait qu’il comprend Hitler, il a conclu par ces mots « D’accord, je suis nazi ».

Ce n’est pas la première fois que la Croisette est secouée par un scandale, mais celui déclenché par le Danois est d’une autre ampleur que les mini séismes qui ont agité le Palais - rappelons entre autres Godard accroché en mai 1968 au rideau rouge pour demander la suspension des projections et Maurice Pialat éructant à la foule « si vous ne m’aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus. »

Autre ampleur parce que le scandale est idéologique. Et que son champ d’action dépasse et de loin la polémique verbale que l’on croit effacer en présentant des excuses - ce que le cinéaste a fait (de son propre gré ?) quelques heures après sa déclaration.

Déclaration que certains tentent de bémoliser en arguant du côté habituellement provocateur ou volontiers déjanté du cinéaste qui s’est présenté devant les journalistes les doigts marqués de 4 lettres F.U.C.K - se placant ainsi puérilement dans le sillage d’un Robert Mitchum » qui dans « The night of the hunter » de Charles Laughton, arborait des phalanges estampillées L.O.V.E et H.A.T.E.

S’il est vrai que von Trier a bâti sa réputation autant sur l’exigence esthétique et la tentation sulfureuse de son cinéma que sur une attitude consistant à se présenter comme un névrosé bargeot, neurasthénique et aérodromophobe, ce serait trop simple, trop accommodant et insupportablement laxiste de prendre appui sur cette « originalité » pour gommer à la sympathie qu’il a exprimé sa dangerosité.

Son inacceptabilité et son inexcusabilité.

La réalité le démontre à suffisance et tout récemment encore à Oslo et dans l’île d’Utoeya, les extrémistes de droite sont, comme des monstres, toujours à l’affût. Ingérables parce qu’inrepérables avant de passer à l’acte, il ne faut apporter au moulin de leur folie aucune eau. Aucun prétexte. Aucun discours dont il pourrait s’inspirer. Se revendiquer.

Si von Trier dispose de l’art pour sublimer ses soleils noirs, il n’en est pas de même pour tout le monde.

La controverse qui consiste à se demander si l’œuvre doit être confondue avec l’homme existe depuis toujours. Elle a fait l’objet d’une attention toute particulière de la part de Marcel Proust qui dans son essai « Contre Sainte-Beuve » défend l’idée que les deux doivent être dissociés - « L’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n’est pas la même personne ».

Ce qui est vrai pour des prises de position vénielles devient brûlot périlleux lorsque les mots prononcées concernent des faits et/ou des personnes criminels.

L’époque incohérente qui est la nôtre a voulu que si le cinéaste ait été congédié du festival par ses organisateurs, son film ait été primé par un jury désireux de décerner le prix de la meilleure actrice à Kristen Dunst.

Celle-ci l’a accepté avec une modestie proche du « low profil » qu’on ne peut qu’apprécier.

Aurait-il été possible qu’elle la refuse au nom d’une liberté de pensée qui aurait réconforté celles et ceux qui se demandent pourquoi il y a toujours dans la vie deux poids deux mesures.

Pourquoi a-t-on fusillé Brasillach et laissé s’enfuir Céline ?

Pourquoi a-t-on renvoyé en correctionelle John Galliano et n’a-t-on même pas évoqué pour le cas Von Trier la possibilité de recourir à la loi Gayssot

Celle qui prévoit, en France, depuis le 13 juillet 1990 de « réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe ».

Pourquoi ? Je n’en sais rien.

Ce que je sais c’est que, ayant maintenant en tête une partie de l’inconscient dévoilé du cinéaste, il est devenu possible d’interpréter autrement sa prédilection pour les lieux fermés ( Riget ), son esthétique (dogma-tique), sa démesure (« Breaking the waves ») et son goût des humiliations et des tortures (« Dogville », « Antichrist »).

Je ne chroniquerai donc pas « Melancholia » au nom d’une décence et d’un respect, qui s’ils n’étaient pas honorés, me feraient monter le rouge au front en pensant à tous ceux et à toutes celles qui, de 1933 à 1945, ont eu à subir un indicible à côté duquel les tourments, angoisses et dépressions qui hantent le film sont du pipeau.

J’espère juste que chacun se rappellera qu’acheter un ticket de cinéma n’est pas toujours un geste anodin.

Qu’il relève autant de la curiosité du cinéphile que de sa conscience personnelle. (mca)

(*) « Le Point » du 4 août 2011, « Positif » de juillet-août 2011, "Le Nouvel Observateur" du 3 août2011.