Fabrice Rodriguez, Raymond Pradel, Marie Lecomte
Il est des films qui intéressent par leur histoire, d’autres par le jeu des acteurs, d’autres encore par un ton particulier qui leur confère un quelque chose d’inclassable, de fascinant et de troublant.
« Nuit Noire » est de cette dernière catégorie.
Il est moins une intrigue proposée par un réalisateur qu’une invitation lancée au spectateur de devenir sinon co-auteur du moins co-participant du sens à y injecter.
Film ouvert, quoique formellement strict et engagé par son approche stylistique extrêmement soignée, il ouvre un champ infini aux associations libres.
« Nuit Noire » rappelle que le cinéma est une représentation du réel dont le langage graphique donne, en proportion égale à sa maîtrise, accès à plusieurs possibles à l’égal des rideaux de théâtre qui, à différents endroits du scénario, se lèvent ou sont tirés pour attirer notre attention sur tel ou tel élément d’une piste qui pourrait nous amener à comprendre pourquoi une femme noire a choisi de mourir dans le lit d’un conservateur de musée de sciences naturelles .
Ce dernier s’appelle Oscar, il est hanté par le souvenir d’une sœur - dont on ne saura pas avec certitude si elle est de chair ou de fantasme – qui le leste dans son devenir d’homme à l’image de cet insecte vert, première image du film aussi belle et irisée que les scarabées de Jan Fabre, et qui, en raison d’une aiguille qui le transperce douloureusement, n’arrive pas à se libérer.
Le monde d’Oscar est noir à la fois parce qu’il est privé de soleil mais aussi parce qu’il renvoie
à ce chant poétique de Saint Jean de la Croix « Noche obscura del ama « (la nuit obscure de l’âme) dans lequel se mêlent anxiété, mystère et souffrance.
Le jeu très expressif de Fabrice Rodriguez, et c’est là toute la force de son interprétation millimétrée, rend crédible un univers fantastico-onirique dans lequel les zèbres et les éléphants courent librement dans les rues, les jeunes filles se gaussent de l’homme léopard du Musée de Tervuren, les taxidermistes créent, pour les animaux qu’ils ont reconstitués, des cadres de vie imaginaire.
Si vous êtes en quête de linéarité, de rationalité et de conformisme visuel, passez-votre chemin.
Ce film n’est pas pour vous.
Mais si vous êtes sensible aux atmosphères indicibles, aux surprises sonores (comme ce mélange
de classicisme schubertien, de voix et de sons étranges ), aux sensations visuelles, vous serez intrigué par ce beau film qui permet à chacun de vivre au rythme de ses ressentis, de son inconscient et de sa capacité à se laisser porter par l’abîme de l’ introspection. (m.c.a)