Cinéphile
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O ESTRANHO CASO DE ANGELICA (L’ETRANGE AFFAIRE ANGELICA)

Manoel de Oliveira (Portugal/France/Espagne/Brésil 2011)

Pilar Lopez dez Ayala, Leonor Silveira, Ricardo Trépa,

95 min.
11 avril 2011
O ESTRANHO CASO DE ANGELICA (L'ETRANGE AFFAIRE ANGELICA)

Manuel de Oliveira pourrait être un des marins, des vieux marins, de la troublante nouvelle de Simon Leys « Prosper ».

« A terre, Maurice dépérit ; il sent le poids de l’âge. A la barre de son bateau, il retrouve la vigueur de sa jeunesse. ».

A 102 ans, le réalisateur continue à filmer. Moins nous semble-t-il pour raconter quelque chose que pour se surprendre. Et nous surprendre.

Nous, c’est-à-dire cette escouade de fidèles spectateurs qui ne craignant ni l’ennui ni l’irrationnel , se laissant volontiers convoquer par le cinéaste pour cheminer à ses côtés et le voir une fois encore tenter de capter la fragilité des frontières entre les notions de fini et d’infini, de temps et d’éternité.

Convoqué comme l’est par une riche famille Isaac, le photographe (*) de « L’étrange affaire … » pour tirer un dernier portrait de leur fille décédée Angélica.

Convoqué aussi pour philosopher avec des érudits sur la matière et l’antimatière, douter qu’une morte (qui ressemble ... étrangement à l’Ophélie de Millais) le soit vraiment et en tomber amoureux (**).

Pour refuser que la mort soit une frontière entre les vivants et ceux qui ne le sont plus. Et préférer se laisser mourir pour rejoindre, à l’image du jeune amant du tableau "The bride" de Chagall, celle que l’on aime d’une irrépressible ivresse.

Picasso disait qu’il faut du temps pour devenir jeune.

De Oliveira le prouve avec cet ouvrage dont le scénario gisait dans ses tiroirs depuis 1952.

Ouvrage tramé de plans fixes et de lenteur contemplative. A la fois poétique et violent. Fou et sage.

Qui fait la part belle à la terre lusitanienne, aux oliviers (l’origine du patronyme et peut-être (le mystère persiste) de la judéité du cinéaste) qu’elle porte et aux hommes qui en prennent soin.

Tiraillés entre espoir et désespoir de savoir qu’ils sont mortels.

Porté par une caméra à la fois austère (et testamentaire ?) - ce n’est pas par hasard que l’on pense parfois à la « Gertrud » de Dreyer - et magique comme dans le cinéma de Méliès, il y a dans « L’étrange .. . » quelque chose d’enchanteur qui transforme le réalisateur en un Merlin à la fois fantasque et malicieux.

Un Merlin qui sait que la seule chose qui ne s’arrête jamais de couler c’est le temps. Que celui-ci nous façonne, nous transforme et nous fait dépérir.

Mais qu’il est aussi la seule occasion qui nous est donnée de faire quelque chose.

 

En l’occurrence une méditation sur deux des grands A de la vie : l’Art et l’Amour.

Il n’est peut-être pas inutile d’ajouter que ceux qui sont restés de marbre devant la singularité de la dernière Palme d’or de Cannes « Uncle Boonmee » d’Apichatpong Weerasethakul risquent de l’être aussi face aux mystères de « L’étrange … » qui, même lorsqu’on tente de les percer, gardent celée une partie de leurs secrets. (mca)

(*) interprété par Ricardo Trépa, le petit-fils du cinéaste et son acteur depuis 20 ans
(**) après tout pourquoi pas ? Woody Allen fait bien dans « The purple rose of Cairo » sortir de l’écran un cowboy qui enlève Mia Farrow et Boltanski dans ses installations n’hésite pas à donner aux défunts une voix. Affirmant ainsi que l’artiste n’a aucune autre limite que son imaginaire. Et tant mieux si celui-ci est vaste.