Chef d’oeuvre
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PARANOID PARK

Gus Van Sant (USA 2007 - distributeur : Cinéart)

Gabe Nevins, Dan Kiu, Jake Miller, Taylor Momsen

85 min.
24 octobre 2007
PARANOID PARK

Est-on jamais prêt pour Paranoid Park se demande Alex, le jeune héros de ce film à la violence sourde et rédemptrice  ?

Est-on jamais prêt pour l’inattendu de la vie se demande le spectateur hypnotisé par cette histoire qui, à partir d’une anecdote, s’élève au niveau d’une réflexion ontologique sur le hasard, la responsabilité et la nécessité, pour bien vivre, de se réconcilier avec soi-même. De se pardonner.

Portland, depuis « Mala Noche » sa première réalisation, est à Gus Van Sant, ce que Illiers-Combray est à Marcel Proust. Un lieu où se poser pour observer « le côté des adolescents ».

Alex est un lycéen et skateur. Un soir, par accident il tue, près d’un skatepark mal fréquenté - le Paranoid - l’agent de sécurité d’une gare ferroviaire. Agent de surveillance auquel il tentait d’échapper. Rongé par la culpabilité et la peur de se dénoncer, Alex s’enlise dans un quant à soi mutique et déstabilisant.

Van Sant est devant son motif comme Monet. Il l’observe, le cerne, l’encercle, l’épouse au plus près. Créant ainsi un sillon d’approche qui permet de reconnaître sa palette au premier coup d’œil.

Palette à la fois instinctive et maîtrisée dont les couleurs sont des adolescents, saisis à ce moment
précis et éphémère de leur maturation, fait d’hésitations et d’allers retours entre régression, stagnation et acceptation du monde qui les attend. Celui redouté et pourtant inévitable des adultes.

Envoûtant, « Paranoid … » est, comme l’univers du skate, une mosaïque de figures et de styles.
Souvent freestyle parce que Van Sant aime la marge mais aussi magistral parce qu’il excelle dans le formalisme classieux.

Alex (*), tout au long de ce film triste et poétique (**), oppose à un univers extérieur (parental, scolaire) qu’il ressent comme absent et/ou hostile, ses propres élaborations, ses fantômes intérieurs qu’il tente d’exorciser en les posant, d’une écriture bellement calligraphiée, sur une feuille de papier. A l’abri des questionnements intrusifs, des curiosités policières, et d’une instance supérieure qui pourrait s’appeler le Sur moi ou la disposition à poser sur soi un regard moral et jugeant.

« Paranoid… » est un film étrange et nostalgique. Qui capte l’évanescence des êtres au travers d’une technique corporelle, celle du skateur qui « flip », c’est-à-dire qui s’élève haut dans les airs avant de retomber, avec plus ou moins de grâce et d’équilibre, sur un macadam dont le concret le ramène irrépressiblement à la pesanteur à laquelle il a cru, un moment, échapper.

Il y a un sens tragique du fatum dans les Van Sant. Comme dans le hanami japonais, cette cérémonie qui rend hommage aux cerisiers en fleurs, lorsque le printemps, cette saison-adolescente, est à l’ apogée de sa beauté. Fragile et fugace. 

Des interviews de Gus Van Sant sont proposées sur les sites suivants : www.cineart.be et www.paranoidpark-lefilm.com . (m.c.a)

(*) dont la ressemblance physique et d’attitude avec le Sébastien de "Control X" de Declercq et Thomas est saisissante. Donnant à croire qu’il existe, au concept pubertaire masculin, un inconscient collectif qui transcende les lieux et les origines.
(**) richement illustré par une bande son qui réserve une part de roi au Nino Rotta de la "Juliette des esprits"