Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo & Ramy Youssef
Voilà maintenant des années qu’un film ne m’avait laissée sans mots, avec des frissons et scotchée sur ma chaise. Poor Things a marqué une nouvelle date dans mon calendrier de 2023. À en juger les éclats de rire et de frayeur dans la salle, nous pouvons sereinement estimer que le réalisateur, Yórgos Lánthimos, et toute son équipe sont parvenus à susciter chez les spectateurs des émotions variées, passant du rire au larme, de l’émerveillement à la colère, et de la confusion à la satisfaction. Mais avant de continuer les éloges, résumons rapidement les magnifiques 141 unes minutes du film.
Comme l’indique son nom, Bella Baxter est une jeune femme très belle. Ses longs cheveux et ses grands yeux bleus, ainsi que son esprit curieux sont ses plus grandes qualités. Mais Bella Baxter n’est pas une femme ordinaire. Non, bien au contraire, elle est même très extraordinaire. Son créateur, un formidable cerveau dans le corps de Frankenstein, Godwin Baxter est un brillant chirurgien. Bella l’appelle God, comme Dieu-le créateur. Et pour cause…
Il y a aussi Max McCandless, le fiancé de Bella. À 3, ils mènent une vie bourgeoise et recluse dans un certain Londres d’une certaine époque. Tout ce quotidien sera bientôt chamboulé par la venue de Duncan Wedderburn, un avocat sans scrupule, libertin et habile, qui, à travers aventures et mésaventures, embarque Bella à la découverte du monde.
Maintenant que le film est résumé, reprenons les éloges et axons-nous sur le casting !
Le choix de chaque comédien est adéquat et authentique. Emma Stone nous offre une interprétation convaincante, remarquable et audacieuse. Et pour cette superbe performance elle est récompensée du Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie.
Bien que non récompenseés, les performances de Willem Dafoe (Godwin Baxter) et de Ramy Youssef (Max McCandless) sont tout aussi impressionnantes.
Et quelle formidable prestation que nous offre l’acteur fameusement connu comme Bruce Banner, alias Hulk dans les films des studios Marvel. Mark Ruffalo est surprenant dans son interprétation du rôle de Duncan Wedderburn. Il est adroit, juste, charmant, et parfois odieux. Tout comme son personnage. Le méchant qu’on adore détester. Pourtant Ruffalo est un comédien qu’il est facile d’adorer et difficile de détester. Exploit donc !
Ces 4 comédiens sont parfaits dans leur rôle, ils nous font même oublier que ce sont des personnages fictifs. Plus parfaite et harmonieuse combinaison n’aurait pu être faite.
Dans la suite des éloges, complimentons l’imagerie. Le choix d’une esthétique des films muets, que ce soit dans le cadrage, l’utilisation du fisheye -une optique qui déforme l’architecture de l’image-, ou encore la manière de construire la narration dans le premier acte du scénario n’est peut-être pas subtile, mais fonctionne habilement.
Il en va de même pour l’étalonnage qui varie selon une trajectoire parallèle à l’épanouissement cérébral du personnage principal. Effectivement, le film s’ouvre sur un beau noir et blanc représentant l’isolation et l’ignorance de la belle prisonnière. Au début, Bella représente une enfant innocente isolée de la société. Lorsqu’elle quitte sa prison dorée et découvre la beauté du monde, le film se colore et vibre de luminosité.
Enfin, l’étalonnage du dernier acte est froid et de plus en plus terne en filigrane avec la croissance d’expériences que connaît Bella. À ce stade, Bella est devenue une femme intelligente aux idées avant-gardistes !
Notons que le développement cérébral de Bella est imagée par sa floraison sexuelle.
Dans une continuité logique, les décors (construits par Shona Heath et James Price qui effectuent un travail conséquent, admirable et singulier !), costumes, maquillages et coiffures suivent la même direction, passant du baroque à une certaine forme d’Art Nouveau pour finir sur une touche plus actuelle, mais toujours hors de ce monde. Le tout est parfaitement scénarisé, parfaitement éclairé, et parfaitement mis en scène.
Yórgos Lánthimos, le réalisateur multi-récompensé
La mise en scène revient à Yórgos Lánthimos, réalisateur et dramaturge grec qui se fait remarquer à Cannes, en 2009, avec Canine, qui remporte les Prix un certain regard et Prix de la jeunesse. Son film est également nominé l’année suivante aux Oscars dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère (récompense finalement offerte à Juan José Campanella pour son film El secreto de sus ojos).
En 2015, Lánthimos est de nouveau nominé à Cannes et gagne le Prix du jury avec The Lobster, qu’il a écrit avec Efthýmis Filíppou. C’est également avec Filíppou qu’il écrit The Killing of a Sacred Deer qui remporte le Prix du scénario.
Malgré ses qualités évidentes de scénariste, Lánthimos n’est pas à l’origine du scénario de Poor Things. C’est Tony McNamara qui est chargé d’adapter le roman éponyme d’Alasdair Gray sorti en 1992. Il le fait avec douceur et génie. Nous apprécions qu’il prend le temps de caractériser chaque personnage avec toute sa complexité et de le faire évoluer dans un sens inattendu mais cohérent ; ainsi que d’instaurer une histoire aussi complexe et alambiquée de manière élégante et accessible.
Mais revenons à Lánthimos. Que ce soit pour son scénario ou sa mise en scène, les films du cinéaste de la nouvelle vague grecque, (The Weird Greek Mouvement pour les anglais), sont régulièrement récompensés. Poor Things n’échappe pas à la règle et se voit octroyer le Lion d’or à la Mostra de Venise et le Golden Globe de la meilleure comédie.
Dire que cette comédie noire a failli ne jamais voir le jour ! Remercions son réalisateur d’avoir persévéré pendant une décennie pour nous offrir cette magnifique et extravagante œuvre.
Sat Gevorkian