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Coup de coeurQUO VADIS, AÏDA ?

Jasmila Žbanić

Jasna Đuričić, Izudin Bajrović, Boris Isaković, Johan Heldenbergh, Raymond Thiry, Boris Ler, Dino Bajrovic, Emir Hadžihafizbegović, Edita Malovcic

101 min.
8 septembre 2021
QUO VADIS, AÏDA ?

Srebrenica, juillet 1995 : 8372 personnes massacrées alors que la ville a été déclarée zone sécurisée par les Nations-Unies et que les Casques Bleus sont stationnés au bord de la ville.
L’histoire se répète et il est difficile de ne pas faire la comparaison avec l’Afghanistan aujourd’hui.

« Quo Vadis, Aida ? » est un film magistral à plusieurs titres
Tout d’abord, il est une démonstration implacable de l’impuissance des organisations internationales dédiées à la paix à protéger les populations civiles, une fois de plus.
Avec Srebrenica, il ne s’agit pas d’un passé lointain mais d’une guerre de nettoyage ethnique , à nos portes, à une époque toute proche, il y a 25 ans, dans l’indifférence générale du monde et plus honteusement celle de l’Europe, une guerre dont chacun de nous peut se souvenir. Et pourtant se souvient t-on vraiment du déroulement de ce massacre ? Basé sur les mémoires de Hasan Nuhanović, traducteur pour l’ONU en juillet 1995, le film nous rend témoins impuissants et sans espoir du scénario programmé de l’anéantissement de tout un groupe ethnique : l’armée serbe, commandée par le sanguinaire Général Ratko Mladić (Boris Isakovic) envahit Srebrenica, faisant fuir les populations civiles qui choisissent d’aller dans la montagne ou de réfugier dans le camp des Casques Bleus auprès desquels elles pensent trouver aide et protection. C’est tout le contraire. Car les Casques Bleus , dirigés par le Colonel néerlandais Thom Karremans (Johan Heldenbergh) n’ont aucun mandat pour intervenir, protéger les populations civiles qui, terrorisées par l’arrivée de l’armée serbe, s’entassent à plus de 5000 personnes à l’intérieur du camp, sans eau, sans toilettes, sans nourriture. Complétement dépassé et sans ordres de New York, le colonel ordonne de fermer les barrières, laissant à l’extérieur du camp cinq ou six fois plus de personnes parmi lesquels le mari et les fils d’Aida.

Car ce film est aussi le portrait magistral d’une femme Aida (Jasna Đuričić), professeur d’anglais, réquisitionnée comme interprète par les forces du camp onusien. Chargée de traduire les consignes et rassurer la foule, Aida se rend compte qu’il n’y aura pas d’issue sauf le massacre. Elle décide alors de tout faire pour sauver son mari et ses deux fils, Selon Jasmila Žbanić, « Aida est à mi-chemin entre deux mondes : elle travaille pour les Nations-Unies, mais elle fait aussi partie de la communauté locale. Il y a des privilèges rattachés à son badge, mais elle est bosnienne, et sa famille partage le destin d’autres familles. …Je me suis dit que c’était la chose la plus brutale au monde, d’avoir à dire à sa propre famille "Vous devez partir !" comme si c’était vous qui les condamniez. L’autre raison pour laquelle je voulais qu’Aida soit interprète, c’est que je voulais une femme qui fonctionne comme personnage. Elle fait tout ce qu’elle peut, mais dans des moments comme ça, les efforts individuels ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. »

Le scénario et la mise en scène de Jasmila Žbanić sont calqués sur la marche implacable des soldats serbes avec, en contraste, la fuite désordonnée des réfugiés et l’immobilité des troupes de l’ONU. Bien plus, et c’est terrifiant, le Colonel Karremans, croyant en la parole de Mladic, accepte sa proposition de rassembler tous les réfugiés mâles pour les conduire à Potočari. En fait, pour les amener à la tuerie.

En conclusion, Jasmila Žbanić souligne : « Je voulais que les gens ressentent comment c’était et faire qu’ils se posent la question "Qu’est-ce que moi je ferais ?", qu’ils s’identifient avec Aida et la suivent là où elle va. Je voulais que les spectateurs soient actifs, or s’agissant de tragédies comme l’Holocauste, les gens savent ce qui s’est passé, donc on peut entrer directement dans l’intrigue du film alors qu’en l’espèce, au-delà de notre société, ils ne connaissent pas exactement les enjeux de Srebrenica. J’avais donc besoin qu’ils comprennent qui est qui et ce qui se joue ici. En effet, les gens connaissent le dénouement, mais ce film parle surtout de la manière dont ça s’est passé, et des dilemmes qu’une mère peut avoir dans une situation comme celle-ci. »
« Quo vadis Aida » est un film très puissant , un très grand film. C’est une oeuvre de mémoire.

(France Soubeyran)