Les brèves des Festivals

RAMDAM 2015, LE FESTIVAL DU FILM QUI DÉRANGE

Christie Huysmans
3 février 2015
RAMDAM 2015, LE FESTIVAL DU FILM QUI DÉRANGE
 

Jamais Festival de cinéma ne semble avoir
aussi bien porté son nom, puisque c’est sous la menace d’actes terroristes que
le Ramdam 2015, le festival du film qui dérange, a été contraint d’être
suspendu durant 72 heures. On ne peut évidemment que déplorer le fait que la liberté
d’expression ait été quelque peu amenée à courber l’échine devant le diktat de
la terreur que quelques individus rêvent d’imposer au monde entier. Fiers de la
victoire de la bêtise sur le bon sens, ceux-ci croyaient sans doute que le
recours à l’intimidation leur permettrait de disposer de l’arme fatale susceptible
d’instaurer le culte de l’ignorance.

Il n’en fut rien ; que du contraire !
Car c’est à peine après « deux jours et une nuit » que le Festival
Ramdam a ré-ouvert ses portes et que les films programmés ont continué à faire
parler d’eux.

Comble de l’ironie pour les grands marketers
du terrorisme : jamais le Ramdam n’a joui d’une aussi grande couverture
médiatique ni d’une aussi belle solidarité citoyenne. « The Hollywood
Reporter » et le quotidien « Libération » se sont notamment fait
l’écho de l’annulation du Ramdam et ont ainsi assuré, de manière inespérée, la
promotion des films et documentaires qui auraient suscité l’effroi de certains :
Timbuktu, The Essence of Terror et Les Insoumises, entre autres.

Mais bon Dieu ! En quoi ces films sont-ils
dérangeants au point d’en amener quelques-uns à brandir une menace armée ?
Le cinéma, et entendons par là le cinéma digne d’être intégré au panthéon du 7ème
art, a-t-il jamais tué qui que ce soit ? Non. Au cinéma, on tire à
blanc ! Opposé à la propagande, arme de destruction massive à laquelle
tous les régimes totalitaires ont recours pour assassiner la liberté de pensée d’une
collectivité chloroformée par le désarroi, le désœuvrement ou la pauvreté,
l’art n’a pas l’orgueil de prétendre à une quelconque validité scientifique ni
de défendre le règne de la pensée unique. En tant qu’acte poétique, le cinéma
peut se targuer de rechercher la construction et non la destruction. Il peut
tout autant se prévaloir d’offrir une vérité, au demeurant librement
interprétable, et ne prétend nullement détenir l’unique vérité. S’il vit en
démocratie, tout spectateur demeure donc libre de sortir d’une salle de cinéma
si le film le lasse, l’écœure, l’énerve ou le dérange.

TIMBUKTU : COUP DE CŒUR DU FESTIVAL

Timbuktu serait, à en croire
la rumeur, le film le plus dérangeant de l’année. Tellement dérangeant qu’il a
été proposé en Coup de Cœur par CinéFemme en décembre dernier, après Gett et Kreuzweg , deux films dénonçant les dérives de l’intégrisme
religieux (juif dans le premier cas, catholique dans le second, précisons-le
pour les jaloux). Tellement dérangeant qu’il a obtenu le Bayard d’Or du
meilleur film et du meilleur scénario au dernier Festival de Namur et qu’il a
remporté très récemment le Grand Prix de l’UCC et le Prix Humanum ;
tellement dérangeant qu’il est nominé aux Oscars dans la catégorie
« meilleur film étranger »…

Mais nom
d’un petit Magritte !, un film est-il susceptible de se voir accorder autant
d’honneurs et de récompenses sous le seul prétexte d’être dérangeant ? Si
c’était vraiment le cas, on pourrait alors s’étonner que Lars Von Trier n’ait
pas foulé le tapis rouge le menant aux Oscars pour avoir réalisé Nymph()maniac .

Mais, nom
d’un petit chameau !, pourquoi Timbuktu
suscite-t-il dès lors autant d’émoi ? Et surtout, pourquoi menacer un film
qui évoque une actualité brûlante que les djihadistes eux-mêmes revendiquent partout
haut et fort ?

C’est à n’y
rien comprendre ! Timbuktu leur
fait quand même un grand vilain coup de pub, non !?

Car au
fond, ne serait-ce pas la communauté internationale des « bien-pensants »
qui devrait d’abord se sentir mise en cause par le propos de Timbuktu ? Cela ne nous
dérange-t-il pas éthiquement d’avoir assisté passivement pendant des mois à des
crimes perpétrés contre une humanité innocente au cœur du Mali ? Never
again ? Désormais, il ne nous est plus possible de nous retrancher
derrière le mensonge du « on ne savait pas », et Timbuktu nous rafraîchit la mémoire avec force. Si la dénonciation de
l’extrémisme religieux dont Timbuktu
se fait le porte-parole par la voix pacifique du cinéma, prouve ô combien la
liberté d’expression est l’une des garantes de la démocratie et assure le
respect des droits de l’Homme, cette même dénonciation est loin d’apporter de
l’eau au moulin à la politique de l’autruche. Et à ce titre, rares seront ceux
à ne pas être dérangés intellectuellement s’ils souhaitent demeurer cohérents
et honnêtes.

Évidemment,
nul n’osera imaginer que ce « péché » international aura amené un
démocrate digne de ce nom à menacer tout un complexe cinématographique parce
qu’il se serait senti personnellement mis en cause pour non-assistance à personnes
en danger !

Mais
alors, en quoi Timbuktu est-il
susceptible de heurter la sensibilité de certains ?

Parce
qu’il est violent et que l’hémoglobine suscite autant de trouble que d’attrait
chez les mammifères que nous sommes ? Non. Son réalisateur, Abderrhmane
Sissako, a eu l’intelligence de ne pas succomber à la tentation de recourir à
une violence choquante et sanglante pour dénoncer le régime terrifiant et
absurde qu’un petit village du Mali se voit imposer lorsqu’il tombe aux mains
de djihadistes. Non, rien de tout ça. Timbuktu
est un beau film, voire un très beau film. Mais preuve est faite que montrer de
belles choses lorsqu’on voudrait nous faire croire que le monde est très laid,
ça ne plaît pas à tout le monde.

Cependant,
ce n’est pas parce que l’on fait un beau film qu’il est nécessairement bon. Or,
Timbuktu est un film brillant car il s’appuie
sur la magie de la poésie ainsi que sur la force constructive et positive de
l’imaginaire pour défendre son propos, et ce faisant, il se profile comme un
film porteur d’espoir et un passeur de lumière allant à l’encontre de l’obscurantisme
le plus sombre. Face à la barbarie et à l’ignorance, Timbuktu oppose l’humour et non l’humeur. Il va jusqu’à démontrer
qu’à force de répondre à la sauvagerie par la brutalité et la cruauté, nous
mourrons tous comme des idiots. En jouant subtilement sur l’absurde, il
décrypte, avec le sourire et sans cynisme, le ridicule des lois inventées de
toutes pièces par les djihadistes. Enfin, il défend sans excès de ferveur ni
aveuglement béat des valeurs qui dépassent largement un cadre religieux borné
et dénué d’esprit.

Timbuktu est donc une pépite
d’humanité qui dévoile la beauté d’un monde que l’on croyait enseveli au milieu
d’un désert de souffrance. Il célèbre l’humanité lorsqu’elle se nourrit de
tolérance, de compassion et de bienveillance, et lorsqu’elle est animée de la
volonté d’aboutir pacifiquement à un œcuménisme culturel, dépassant le cercle
vicieux de toute bondieuserie.

Mais
pourquoi donc un film qui, d’une part, dénonce avec prudence et intelligence un
fascisme religieux connu de tous et que certains assument avec fierté, et qui,
d’autre part, s’efforce de prôner le respect et la paix, est-il perçu comme
dérangeant ?

Parce
qu’il nous force à l’humilité en admettant notre ignorance face à des croyances
qui nous sont étrangères ou que nous considérons hâtivement comme
étranges ? Parce qu’il nous invite à réviser nos jugements à
l’emporte-pièce, susceptibles d’induire de pernicieux amalgames et de nous inciter
à vendre notre âme à un radicalisme politicien et populiste ?

Si c’est
être aveugle que de porter des œillères, ôtons-les, et nous recouvrerons la
vue. Il faut se laver les yeux avant
chaque regard,
dit un proverbe arabe.

Mais
pourquoi la menace terroriste persiste-t-elle ? Serait-ce la peur qui, au
fond, en enrage certains ? Il n’y a en effet de pire animal que l’homme
lorsqu’il se sent seul et en danger pour avoir été mis au ban par sa propre
meute. Nul ne devient prophète s’il prêche dans le désert de l’abandon. Et
quelle peur ? La peur d’être décagoulé ?

Parce que
Timbuktu dévoile les mensonges
éhontés de ceux qui instrumentalisent l’Islam à des fins purement personnelles ?
Parce qu’il place sous les projecteurs de la vérité ceux qui se défendent de
leur folie meurtrière en se réclamant de lois qu’un Dieu présumé tout-puissant,
dément, vengeur et sanguinaire rêverait de nous imposer ? Parce que Timbuktu nous rappelle que l’essence et
le sens des mots sont dévoyés, tronqués et manipulés au profit d’un excès d’orgueil
tragiquement humain ?

Parce
qu’il révoque le culte de l’ignorance et sous-entend que la privation de la
Connaissance est l’opium le plus efficace pour endormir les consciences et
assassiner les âmes ? Ne serait-ce point-là la pitance empoisonnée dont on
gave les moutons de Panurge pour les emmener à l’abattoir ? La connaissance conduit à l’unité comme
l’ignorance
à la division , nous
enseigne la mystique hindoue.

Car que
sont nos croyances, convictions et idéologies à l’aune de la validité des
savoirs scientifiques ? Et que représente notre réel savoir face à notre
ignorance ? On pense plus qu’on ne réfléchit, on croit plus qu’on ne
pense et on imagine plus qu’on ne sait ; et ce, que l’on soit athée,
agnostique ou croyant. Et c’est peut-être là où le bât blesse.

Car, si
la question de savoir si Dieu et le Diable existent ou n’existent pas, ne se pose
guère ici ; Timbuktu nous
rappelle que les mots, eux, existent bel et bien, et que leur usage hasardeux
et imbécile pèse très lourdement dans la balance du crime. Or, force est de
constater que l’essence et les sens historiques du langage sont non seulement trop
souvent menacés d’oubli et de travestissement, mais font aussi l’objet d’une dangereuse
manipulation par la phénoménologie fallacieuse d’un imaginaire individuel ou collectif,
qui contribue à faire d’un mythe, d’une croyance ou d’un symbole une triste réalité.
Comment dès lors expliquer qu’une religion (laquelle est censée relier et
rassembler les hommes entre eux et vers un Dieu ou des Dieux) amène, depuis
l’avènement du monothéisme, des individus à guerroyer au nom d’un Dieu dont
l’existence, tout comme la non-existence, reste encore à prouver ?
Pourquoi un Dieu (mot dont l’étymologie est liée à la notion de lumière)
serait-il mu par la volonté de faire régner les ténèbres ?

À qui
profite le crime ? Et quels profits tire-t-on du crime ? Serait-ce encore
l’œuvre de ce fichu Diable (celui qui divise) ? Car quels meilleurs moyens
que la guerre et le recours à la terreur pour diviser et ainsi mieux
régner ?

Mais non
d’un petit bonhomme, une manipulation sournoise des mots ne servirait-elle pas
la lie de l’humanité ? Et qui, à part l’Homme, manie le langage afin d’en
faire le fossoyeur de l’humanité ?

« Dieu est mort ! Dieu reste mort !
Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers
des meurtriers ?... Qui nous lavera de ce sang ?
 »,
proclamait Nietzsche dans Le Gai Savoir à
travers l’Insensé . Mais quel Dieu,
quel concept de Dieu, Nietzsche a-t-il voulu faire mourir hier ? Et
aujourd’hui, quel(s) Dieu(x) ou concepts de Dieu veut-on faire mourir,
ressusciter ou incarner ? Et le Diable ? Est-il vraiment partout ?
Et qu’en est-il de la Liberté de l’Homme ? De sa liberté de faire le bien ou
le mal et d’en assumer toute la responsabilité en son âme et conscience ?

Qui
sait ?

Timbuktu ne montre que des
hommes et des femmes. Les surhommes n’existent pas.

THE ESSENCE OF TERROR : MANIPULATION,
CRIMES ET TERREUR

Là encore
on peut se demander comment un documentaire intitulé The Essence Of Terror incite au boycott ? Pour ceux qui
l’ignoreraient, le mot « essence » se réfère au mot « source »
et non à l’huile que l’on met sur le feu ! Inutile donc de mettre le feu
aux poudres pour une histoire de titre incompris. À moins évidemment de se
sentir visé directement et personnellement par les faits que met en lumière ce
documentaire réalisé par Andreas Rochsén.

Deux
journalistes suédois (Martin Schibbye et Johan Persson) sont en reportage en
Ethiopie dans la région d’Ogaden afin d’enquêter sur les intérêts économiques
d’une entreprise spécialisée dans l’exploitation de gaz et de pétrole, The
Swedish Ludin Group. Ayant vent des conflits armés qui opposent l’ONLF (Ogaden
National Liberation Front) à la milice du Président Abdi Muhamoud Omar, les
deux journalistes décident de passer la frontière qui leur est interdite afin
de mieux cerner les tenants et les aboutissants du conflit qui opposent les
deux camps. Intégrés dans un groupe qui se réclame de l’ONLF, ils n’auront
pourtant guère l’occasion de mener à bien leur investigation. Blessés et
capturés par la milice présidentielle, ils seront condamnés à onze ans de
prison pour terrorisme. Les images de cette capture et de la mise en scène qui
les a conduits à une condamnation arbitraire ont été secrètement copiées par un
conseiller du Président, Abdulahi Hussein. En fuyant le pays, celui-ci prend le
soin de copier toutes les images attestant de la parodie de justice dont les
deux journalistes suédois ont été les victimes mais il emporte aussi avec lui
toutes les preuves de meurtres, tortures, viols et de génocide perpétrés sous
le commandement du Président. Un documentaire édifiant sur les outils de
propagande utilisés par le totalitarisme et les exactions commises dans une
région méconnue du monde. Un témoignage criant sur la nécessaire liberté de la
presse et les risques qu’encourent les journalistes qui souhaitent exercer leur
métier. Le courage d’un homme qui a osé dire non à la terreur et qui, en
quittant son pays au péril de sa vie, a eu l’audace de révéler à la communauté
internationale la réalité d’un territoire oublié.

THE DARK HORSE : PAS LE GAGNANT DANS
NOTRE TIERCÉ

Film
d’ouverture du Festival, The Dark Horse
n’était sans doute pas le meilleur cheval du Ramdam 2015. Inspiré de la vie de
Genesis Potini, ex-champion d’échecs Maori, atteint de troubles bipolaires, ce
film néo-zélandais nous raconte comment, à la sortie d’une institution
spécialisée, cet homme marginalisé tente de se recréer en trouvant un nouveau
projet de vie. Hébergé chez son frère, ce dernier est troublé par le destin
sans issue auquel son neveu est contraint de se résoudre s’il veut survivre, à
savoir : rejoindre la violence du gang de son père après une initiation en
bonne et due forme. Pour Genesis, le salut passera par la création d’un club
d’échecs destiné à des jeunes guettés par l’abandon et le désœuvrement.

Même si The Dark Horse a le mérite de nous faire
découvrir l’une des facettes d’un pays dont on parle somme toute très peu, sa
réalisation demeure de facture très classique et accuse quelques longueurs.
Interrogé par la chaîne de télévision locale Notélé, le jeune réalisateur James
Napier Robertson estime que ce son film peut être considéré comme dérangeant en
ce sens qu’il nous force à revoir nos a priori et nos idées toutes faites sur
des gens considérés comme différents, qu’il s’agisse de Génésis, lequel est
atteint d‘une maladie mentale, ou des jeunes enrôlés dans les gangs. Certes, la
performance de Cliff Curtis dans le rôle de Potini mérite d’être soulignée mais
le chemin semble encore bien long avant que nous puissions sortir du délire
collectif quant à l’approche de la maladie mentale. À cet égard, la
cinéthérapie a encore de beaux jours devant elle (lire à ce sujet Le Journal de Léa, Cinéma, Toc et Trouble
bipolaire
).

RELATOS SALVAJES (Les nouveaux sauvages) :
CYNIQUEMENT JUBILATOIRE

Tout
avocat vous le dira : la justice demeure un concept abstrait. Dans cette
perspective, la solution serait-elle de se faire justice soi-même et de
recourir à l’impitoyable loi du talion ? Cyniquement jubilatoire, déjanté
autant que dérangeant, ce film réalisé par le cinéaste argentin Damián Szifron (produit par Almodovar
et sorti sur nos écrans le 21 janvier) parvient, avec un humour noir
particulièrement jouissif, à simultanément nous effarer et à nous faire rire.
Constitué de six tableaux dont le ton est parfois inégal, Relatos Salvajes (lui aussi nominé aux Oscars dans la catégorie
« meilleur film étranger ») nous démontre ô combien la tentation de
succomber à nos instincts les plus primaires et les plus sauvages est
terriblement illusoire en ce sens qu’elle ouvre la porte à la plus vile et à la
plus tragique des barbaries. Une chose est sûre : ce film réveillera
toutes les belles au bois dormant qui se seraient laissées anesthésier par
l’onirisme fallacieux des contes de fées ! Il pourrait même donner des
idées à certaines et en faire trembler d’autres… La catharsis fonctionne à
merveille. Mais que l’on se rassure, tout cela reste du cinéma !

LA NEF DES FOUS : OÙ EST LE DÉLIT ;
OÙ EST LE DÉLIRE ?

Reconnus
irresponsables de leurs actes au moment des faits par la justice, ils sont
internés pour une durée indéterminée entre les murs de l’annexe psychiatrique
de la prison de Forest. Réalisé par deux journalistes de la RTBF (Éric
D’Agostino et Patrick Lemy), ce documentaire nous ouvre les portes d’un univers
que l’on croirait tout droit sorti du 19ème siècle. Une petite
dizaine d’hommes se révèlent et témoignent, avec dignité, du semblant de vie
qui leur est laissé. Certes, ces hommes ont été condamnés pour des faits
délictueux ou criminels mais tout porte à croire que la société a jeté aux
oubliettes les pathologies qui les ont amenés à commettre, dans certains cas,
l’irrémédiable. Car comment croire qu’une réinsertion soit réellement possible
lorsqu’une prise en charge médicale et thérapeutique digne de ce nom brille par
sa totale absence ? C’est à se demander si ce n’est pas à l’extérieur des
murs de la prison que le vent de la folie souffle le plus fort !

WAITING FOR AUGUST : L’ATTENTE EST
LONGUE

Inspirée
par sa propre vie, la réalisatrice roumaine, Teodora Ana Mihai, suit le
quotidien d’une jeune fille de 15 ans, qui s’occupe de ses six frères et sœurs,
tandis que leur mère est partie travailler en Italie. Même si la caméra de la
cinéaste a parfois tendance à effacer le fossé qui sépare le documentaire de la
fiction en faisant de ces enfants de vrais personnages, le film lasse par son
absence de réelle progression et l’on finit par tuer le temps comme on peut en
attendant que le mois d’août arrive enfin.

THE MAJOR : PAS MAJOR DE SA PROMOTION

Sergey
Sobolev, un commandant de la police locale, se rend à la maternité où sa femme
est sur le point d’accoucher. Surexcité, il roule bien trop vite sur une route
hivernale enneigée. Il renverse un enfant de 7 ans, qui meurt à la suite de
l’accident. Déchiré entre la peur d’aller en prison et la possibilité de
compromettre sa conscience, il appelle un collègue afin de l’aider. L’engrenage
de la corruption policière est en route, et une fois que l’on y a mis un pied,
c’est « marche ou crève ».

Si une
comparaison peut être tentée, on pourrait dire que The Major de Yuri Bykov se situe à mi-chemin entre le film roumain Mère et Fils (Child’s pose) de Calin
Peter Netzer et le récent Léviathan
de Andreï Zviaguintsev. Proche de Mère et
Fils
quant à l’accident dont découlera toute l’intrigue du film, The Major le dépasse toutefois dans la
qualité de sa réalisation et il peut également se targuer de doter ses
personnages d’une conscience et d’une capacité d’empathie cruellement (mais volontairement)
défaillante dans le film roumain. Néanmoins, l’approche développée dans The Major n’arrive pas à la cheville de Léviathan non seulement sur le plan
dramatique mais aussi en matière d’intelligence et d’humour.

BLIND : LA CECITE COMME RAREMENT VUE

Ayant
récemment perdu la vue, Ingrid (Ellen Dorrit Petersen) se retire dans son
appartement, un endroit où elle peut se sentir sécurisée. Seule ou en présence
de son mari, Ingrid laisse courir ses pensées. Reliée à la réalité par le fil
de l’imagination pour visualiser intérieurement ce qu’elle ne voit plus, elle
s’accroche aux rebords du quotidien pour réinvestir son espace. Mais emportée
par ses peurs, ses fantasmes et ses errances, Ingrid se réinvente un nouveau
monde dans lequel les pistes de l’imaginaire et du réel se brouillent.

Blind est probablement le
film le plus déroutant du Festival eu égard à sa structure narrative. Pianotant
allègrement sur les gammes de la réalité et de la fantaisie, Blind s’amuse à perdre le spectateur
dans un dédale d’existences qui tantôt se croisent tantôt se séparent. En
réalisant Blind , le réalisateur
norvégien, Eskil Vogt confesse avoir voulu aborder son sujet de manière
ludique. Conseillée par une femme aveugle dans l’entreprise de son projet,
Eskil Vogt n’a pas redouté d’avoir recours à ce qu’il qualifie d’une forme d’humour
noir pour se distancier d’une approche trop dramatique de son sujet. Un humour
gris clair à nos yeux tant l’atmosphère générale du film est poudrée d’une
poésie blanche.

Certains
pourraient certes rester hermétiques à l’ambiance parfois distanciée et froide
du film mais d’autres pourraient par contre succomber à son charme « lynchéen »
(mais au demeurant accessible) en se laissant guider par l’élégance de son héroïne.
Tout est question de lâcher prise et de clairvoyance. Toujours est-il que les
aveugles ayant déjà eu l’occasion de voir Blind
en Norvège l’ont beaucoup apprécié, a précisé le réalisateur lors d’une
interview réalisée après la projection de son film au Ramdam.

THE VOICES : SECOND DEGRE ET GORE POUR
QUI VEUT BIEN

Univers
kitsch en rose bonbon pour ce schizophrène qui parle à son chien et à son chat
après être rentré de son travail, et qui tombe amoureux d’une de ses collègues au
physique de Blanche-Neige. Si les treize premières minutes de ce film semblent
être prometteuses, les nonante autres sont décevantes. En voulant tourner en
dérision la maladie mentale, The Voices
se réclame certes d’un humour à prendre au second degré, mais il ne parvient
pas, sur la longueur, à se hisser à 1,5 sur l’échelle de l’humour. Gore sans
jamais aller au bout d’un délire que l’on aurait souhaité voir progresser en
crescendo , The Voices fait figure de film
inabouti.

YOU ARE NOT YOU : MAYBE FOR
YOU, MAYBE NOT

Entre Dying Young et Intouchables (l’humour en moins), You are not you filme la dégénérescence physique à laquelle est
condamnée Kate (Hilary Swank), une jeune femme belle et brillante qui avait
tout pour être heureuse : une belle carrière, un mari aimant et une grande
maison. Atteinte de la maladie de Charcot que les Américains appellent ALS
(Amyotrophic lateral sclerosis), Kate devra à la fois assumer sa dégénérescence
progressive (et une dépendance parfois humiliante) et endosser le poids de la
culpabilité que génère la maladie au sein de son couple. Mais si Kate devient
une autre en raison d’une maladie qui la transforme et l’aliène totalement, l’épreuve
subie l’amène également à se demander si la vie qu’elle a menée jusqu’à ce que
son invalidité la diminue, était réellement authentique. Est-elle devenue celle
qu’elle était vraiment ?

En dépit
de son format très américain et relativement surfait, George C. Wolfe réalise un
film très efficace, qui dispose de suffisamment d’atouts pour plaire à un large
public, notamment grâce à la prestation de ses deux actrices principales
(Hilary Swank et Emmy Rossum).

52 TUESDAYS : QUELQUES MARDIS DE MOINS
ET LE COMPTE EÛT ÉTÉ BON

Filmé
durant un an à raison d’un mardi par semaine, 52 Tuesdays se propose d’aborder la question de la transsexualité à
travers le regard d’une jeune fille de 16 ans, Billie, qui apprend que sa mère
décide de changer de sexe. Certes, le sujet a déjà été exploré, notamment par
Xavier Dolan, dans « Les amours
imaginaires 
 », mais l’originalité de 52 Tuesdays se distingue par le point de vue qu’adopte sa
réalisatrice (Sophie Hyde) en se focalisant sur une adolescente, qui en viendra
à tester et expérimenter les possibilités et les limites de sa propre
sexualité. Intéressant sur le fond, 52
Tuesdays
ne tient toutefois pas ses promesses sur la forme car de trop
nombreuses longueurs en début de film nous amènent in fine à décompter les
mardis.

WHIPLASH : TOTALEMENT VIBRANT POUR CEUX
QUI AIMENT OU N’AIMENT PAS LE JAZZ

Entré
dans une prestigieuse école de musique, Andrew n’a qu’une idée en tête :
devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Un soir, il fait
la rencontre de Terence Fletcher, un professeur dont les méthodes
d’enseignement sont réputées tyranniques. Poussant ses élèves à dépasser leurs
limites et à mettre à l’épreuve leur détermination jusqu’à l’extrême, Fletcher
ne tolère aucune erreur et ne recule devant rien pour que son groupe de jazz
soit le meilleur. Selon lui, avoir du génie n’est pas suffisant car il faut
avoir le talent de le cultiver et de le travailler encore et encore, jusqu’à
épuisement si nécessaire.

Dire trop
de bien de Whiplash serait courir le
risque d’en décevoir plus d’un au final. Pourtant, on ne peut s’empêcher de
souligner la maîtrise parfaite de son jeune cinéaste, Damien Chazelle, tant
dans sa réalisation qu’à l’égard de sa direction d’acteurs, sans parler de la
musique, qui est littéralement galvanisante. Le duel Miles Teller - J.K.
Simmons joue un duo parfaitement rythmé et ne commet aucune fausse note.

Bien aise
sera celui qui résistera à battre la mesure lors de la dernière scène
magistrale de ce film musicalement explosif.

LE PALMARÈS

Au regard
des circonstances délicates et sensibles dans lesquelles s’est déroulée la 5ème
édition du Festival Ramdam, le comité de programmation du Ramdam Festival a
décidé d’élire vainqueurs tous les films en compétition. Une décision pour le
moins déconcertante.

L’AVIS DU PUBLIC

mso-bidi-font-weight:bold">FICTION : You’re
not you

de George C. Wolfe

mso-bidi-font-weight:bold">DOCU : En
Quête de sens
de Nathanael Coste et Marc de La Ménar- diere

mso-bidi-font-weight:bold">RÉTRO : Le
Juge Fayard dit le shérif
d’Yves Boisset 

mso-bidi-font-weight:bold">RAMDAM DE L’ANNÉE : Je
te survivrai
de Sylvestre Sbille

NOTRE AVIS

En dépit
des événements qui ont perturbé le cours du Festival, on ne peut que se réjouir
du fait que le Ramdam ait bénéficié d’une hausse de fréquentation de plus de 20
_ % par rapport à 2014. Ceci est tout à l’honneur du 7ème art comme au
public qui le célèbre.

Cependant,
et paradoxalement au vu du contexte dans lequel s’est déroulé le Ramdam 2015,
la programmation nous a semblé, globalement, moins dérangeante que lors de
l’édition précédente. On songe notamment aux trois films flamands, The Broken Circle Breakdown , Het Vonnis et De Behandeling , qui s’étaient tous les trois distingués en 2014 dans
la catégorie fiction, ainsi qu’au documentaire The Act of Killing qui avait été salué par le jury de la presse. La
force des films précités nous semble en effet, tant sur le fond que sur le plan
émotionnel, plus imposante et beaucoup plus troublante que celle qui s’est,
dans l’ensemble, dégagée cette année, et ce en dépit de la qualité des films
présentés.

(Christie
Huysmans)