Kate Dickie, Tony Curran, Martin Compson, Nathalie Press
« Red road » est une traversée éprouvante souvent, abrasive parfois, au plus profond de la détresse d’un deuil qui ne se fait pas.
Une jeune femme, à l’allure androgyne de Patti Smith, observe derrière des écrans de télévision d’une société de vidéosurveillance, les rues de Glasgow. Un jour elle reconnaît, parmi les passants, un homme qu’elle aurait voulu ne jamais revoir.
Jusqu’ici, protégée et isolée du reste du monde par cette approche pixelisée du monde, Jackie décide de suivre Clyde et de s’immiscer dans son intimité.
Très vite, un sentiment d’ambigüité, ciselé par une mise en scène au cordeau et intériorisée, s’installe entre les deux personnages dont, au fil des rares rencontres, des points communs surgissent malgré un passé qui devrait les opposer.
De part et d’autre la même douleur, la même détresse, la même colère exprimée tantôt par l’alcool, la relation sexuelle lapidaire et sèche ou l’errance dans une ville glauque et triste (*).
Avec Andréa Arnold on est loin de l’Ecosse élégiaque et poétique de Robert Burnes, on est dans des quartiers durs, où misère affective et matérielle, se croisent sans issue ou rédemption permise.
Et pourtant au cœur même de cette atmosphère plombée, jaillira telle la bruyère, colorée et inattendue en périphérie de la ville, une plante, celle de la miséricorde, qui fera mieux que rapprocher Jackie et Clyde. Elle les réconciliera avec eux-mêmes, leur permettant ainsi de renouer avec ceux dont ils s’étaient éloignés.
« Red road » est le premier volet d’une trilogie cornaquée par Lars Von Trier. Fidèle à ses inclinations pour les contraintes dogmatiques, ce dernier a proposé à trois jeunes réalisateurs ( Morag Mc Kinnon et Mikkel Norgaard suivront Andrea Arnold) de développer des concepts visuels
« en se basant sur un même groupe de neuf personnes qui doivent apparaître dans tous les films qui auront obligatoirement pour cadre l’Ecosse et les mêmes conditions de tournage quant au budget - 1,5 million d’€- et à la durée - 6 semaines. »
La réussite de ce premier opus est incontestablement due à un style de narration, dru et dense magnifié par l’interprétation, mêlée de sensibilité rauque et épurée, d’un quatuor d’acteurs
sensationnels (*) Une prime à Tony Curran dont la rusticité écorchée colle si bien à la musique du film et notamment à cette chanson de Joy Division, qui résume à sa juste résonnance, l’écho (c’est-à-dire l’après-coup) d’un traumatisme : « Love will tear us apart ». (m.c.a)
(*) dont l’amertume a déjà été évoquée dans sa sombre grâce, par Ken Loach dans notamment « Carla’s song », « My name is Joe » ou « Sweet sixteen ».
(**) Martin Compson, déjà remarqué et remarquable dans « Sweet sixteen » précité